Conflit armé en Colombie: d'anciens fours fouillés à la recherche de restes humains
Des experts en anthropologie médicolégale, armés de pelles et de brosses, fouillent l'ancien four d'un site de production de sucre de canne dans l'est de la Colombie. Ils sont à la recherche de restes des centaines de victimes des groupes paramilitaires qui sévissaient dans la région.
Les organisations de victimes estiment que plus de 500 corps pourraient avoir été incinérés dans ce type de four au début des années 2000 afin de les faire disparaître et avec eux toute preuve des homicides perpétrés.
L'Unité de recherche des personnes disparues (UBPD) estime à plus de 100.000 le nombre de victimes, en grande majorité civiles, de disparitions forcées au cours du conflit qui a meurtri la Colombie durant six décennies, soit plus que les dictatures du 20e siècle en Argentine, au Brésil et au Chili réunies.
Le conflit, né dans les années 1960, a opposé à partir des années 1980 les guérillas de gauche en guerre contre le gouvernement à des groupes paramilitaires, sur fond de violences du narcotrafic.
Dans leur lutte, les groupes paramilitaires ont semé la terreur par des massacres et persécutions d'hommes politiques, paysans et leaders communautaires suspectés de sympathiser avec les guérillas.
En 2006, quelque 30.000 d'entre eux ont été désarmés et la majorité de leurs chefs mis derrière les barreaux. Motivés par des aménagements de peine, ces derniers se disent aujourd'hui prêts à contribuer aux recherches des disparus.
Depuis sa prison aux Etats-Unis où il purge une peine de 15 ans pour trafic de drogue, Salvatore Mancuso, un ancien chef paramilitaire, a signalé en début d'année l'emplacement d'un charnier. En juin, l'UBPD y a trouvé de "multiples" restes humains.
Le four en brique situé dans la municipalité de Villa del Rosario, à la frontière avec le Venezuela, dans l'est de la Colombie, où des équipes d'experts légistes sont à l'oeuvre, servait à l'origine à produire du sucre de canne.
- "Au préalable torturées" -
Mais, selon les aveux de commandants paramilitaires devant la Juridiction spéciale pour la paix (JEP), le tribunal qui juge les pires crimes du conflit, les escadrons d'extrême droite y auraient incinéré des guérilleros et des paysans sympathisants.
Ce type de four pourrait avoir servi à incinérer des corps, explique à l'AFP Marlon Sanchez, à la tête de l'UBPD, entité créée après l'accord de paix de 2016 avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). "Ce n'est pas le seul four où des corps ont pu être incinérés", souligne l'anthropologue.
Les personnes "étaient au préalable torturées et soumises à des avilissements absolument humiliants", assure Javier Osuna, auteur du livre "Tu me parleras du feu : les fours de l'infamie", qui raconte cette pratique de guerre de type nazi.
D'après les témoignages recueillis, "on peut déduire que ce ne sont pas seulement des morts qui sont entrés dans ces fours", ajoute M. Osuna, laissant entendre que des victimes auraient pu y être brûlées vivantes.
Cette quête constitue un espoir nouveau pour les familles de disparus, dont certaines assistent aux recherches.
"Les conditions de température n'ont peut-être pas été assez élevées pour détruire totalement les os", de sorte qu'il n'est pas impossible de retrouver des indices, espère M. Osuna. Les recherches n'ont cependant rien donné pour l'heure.
R.Marconi--IM