En limitant la lecture des tweets, Musk se met à dos usagers, annonceurs et développeurs
En décidant de limiter la lecture de tweets, officiellement pour contrer l'exploitation de Twitter pour l'intelligence artificielle, Elon Musk a froissé nombre d'usagers et s'est un peu plus mis à dos les annonceurs et les développeurs.
Samedi, celui qui a officiellement cédé les rênes de la plateforme mais demeure président exécutif a annoncé la mise en place, officiellement à titre provisoire, d'une limite au nombre de messages consultables par compte et par jour.
Fixé initialement à 6.000 tweets pour les comptes vérifiés, 600 pour les comptes ordinaires et 300 pour les nouveaux comptes non vérifiés, le plafond a été relevé à 8.000, 800 et 400 respectivement, puis à 10.000, 1.000 et 500.
La décision vise, selon Elon Musk, à "remédier aux niveaux extrêmes de recueil de données" par des sociétés tierces spécialisées dans l'intelligence artificielle (IA).
L'IA dite générative, c'est-à-dire capable de créer du contenu (texte, image, vidéo, son) en réponse à une demande en langage courant, nécessite d'être alimentée par des quantités massives d'informations, notamment des conversations sur les réseaux sociaux.
"Cela perturbait l'utilisation ordinaire" par les internautes, selon Elon Musk.
La veille, pour les mêmes raisons, Twitter avait mis fin à la possibilité de consulter des tweets sans se connecter et s'identifier.
Si elles n'ont pas gêné le fonctionnement du réseau social même, ces mesures ont affecté des applications tierces, certaines très populaires, qui faisaient partie de l'écosystème Twitter, notamment Tweetdeck qui appartient pourtant au groupe de San Francisco (Californie).
De nombreux utilisateurs se sont plaints que certaines fonctionnalités étaient devenues inutilisables.
"La trajectoire des plateformes a été entièrement bâtie sur leur capacité à assurer un service stable et fiable sans limites d'utilisation", rappelle John Wihbey, professeur à l'université de Northeastern. Ce qui vient de se passer "semble être une volte-face", selon lui.
A force de licenciements et de réductions de coûts, "on s'attend depuis longtemps à ce que l'infrastructure de la plateforme se détériore au point qu'elle devienne inutilisable ou que les dysfonctionnements fassent fuir les utilisateurs", poursuit l'universitaire.
Lors de la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk, en octobre, "les gens étaient prêts à partir pour des raisons éthiques", rappelle-t-il. "Aujourd'hui, Musk leur donne des raisons techniques."
- "Pas crédible" -
"C'est un motif de plus pour lequel les annonceurs vont dépenser ailleurs leurs budgets dédiés aux réseaux sociaux", fait valoir Mike Proulx, du cabinet Forrester. Les marques "dépendent de leur audience et des interactions (avec les usagers)", rappelle-t-il. "Or, Twitter est en train de ravager les deux."
"Comment allez-vous expliquer aux annonceurs de Twitter que les utilisateurs peuvent potentiellement ne pas voir vos publicités à cause de la limitation de leur utilisation?", a interrogé, sur son compte, Justin Taylor, ancien du réseau social et aujourd'hui vice-président de la ligue professionnelle de catch WWE.
La séquence est d'autant plus dommageable qu'elle a donné l'impression qu'Elon Musk est toujours seul aux manettes, alors qu'une nouvelle directrice générale, Linda Yaccarino, a pris ses fonctions il y a près d'un mois, en grande partie pour tenter de rassurer les annonceurs.
Les restrictions appliquées par Twitter menacent aussi de faire une autre victime, car "le monde de la recherche est dans la panade (concernant l'extration de données). Ça devient extrêmement compliqué de faire ça légalement avec des données publiables", sur la désinformation notamment, explique Florent Lefebvre, analyste des social data, c'est-à-dire des données provenant des réseaux sociaux.
Plusieurs observateurs s'interrogent sur les motivations réelles de l'actionnaire majoritaire du groupe à l'oiseau bleu.
"Cela ne paraît pas crédible que le recueil de données génère soudainement des problèmes de fonctionnement tels que Twitter n'ait pas d'autre choix que de forcer les gens à entrer leurs identifiants", a commenté, sur le réseau social Bluesky, Yoel Roth, ancien responsable de la sécurité de la plateforme.
Pour développer les modèles de langage (LLM) qui servent à l'IA générative, "les contenus des réseaux sociaux sont bien moins utilisés que les articles de presse ou les livres, car ils sont de bien plus mauvaise qualité, bourrés de fautes et manquent de contexte", souligne Florent Lefebvre, ce qui fragilise l'argument d'Elon Musk.
V.Barbieri--IM