Cyclisme: Bahamontes, le premier des Espagnols
Premier Espagnol à remporter le Tour de France, en 1959, Federico Bahamontes, décédé mardi à l'âge de 95 ans, a incarné durablement l'archétype du grimpeur, au point de mériter le surnom d'"Aigle de Tolède", la ville où il était connu de tous.
Jusqu'à la fin de sa vie, Bahamontes a gardé une grande popularité dans son pays, fier de sa réussite dans le Tour de France. En dix participations, entre 1954 et 1965, le rival du Luxembourgeois Charly Gaul gagna à six reprises le classement du GP de la montagne et fut longtemps préoccupé uniquement par cet aspect de la course.
Ombrageux, le Castillan né le 9 juillet 1928 dans une localité proche de Tolède était surtout célèbre, avant sa victoire dans le Tour, pour ses sautes d'humeur imprévisibles en course.
En 1957, il abandonna sans raison lors de la Grande boucle, n'écoutant ni son directeur sportif ni le directeur de l'épreuve Jacques Goddet. "Ce jour-là, l'aigle volait bas, il s'était transformé en mulet des Asturies", écrivit un journaliste malicieux.
Deux ans plus tard, le champion espagnol s'imposait dans une édition qui était censée être dominée par l'équipe de France forte de quatre leaders (Jacques Anquetil, Louison Bobet, Raphaël Géminiani, Roger Rivière) mais sapée par les rivalités.
- La charrette du livreur -
"El Picador", son second surnom, avait néanmoins mérité sa victoire. Il avait gagné le contre-la-montre du Puy-de-Dôme et, deux jours plus tard, mené une échappée somptueuse dans le col de Romeyère avec Gaul.
De retour dans son pays, il devint une idole, bien avant Luis Ocana, Pedro Delgado et Miguel Indurain qui lui succédèrent au XXe siècle au palmarès du Tour et dans le coeur des supporters espagnols.
L'ancien petit vendeur du marché de Tolède expliquait ses extraordinaires qualités de grimpeur par son premier métier: "Pour livrer les clients, j'avais une charrette que je remplissais de 120 kilos de fruits et de légumes. Je l'ai poussée pendant quatre ans dans les rues. C'est là que je me suis fait un cœur et un corps de grimpeur. Dans les côtes, je poussais sur la pointe des pieds comme sur des pédales."
Vainqueur de la Vuelta à deux reprises (1954 et 1957), il resta au sommet la trentaine passée et relança sa carrière sous l'autorité de son directeur sportif Raoul Rémy.
Pendant les années Anquetil, "Fede" figura deux autres fois (2e en 1963, 3e en 1964) sur le podium du Tour, la course qui convenait le mieux à ce coureur adorant les températures caniculaires.
- Le cadeau de Dali -
S'il gagna onze étapes de montagne dans les trois grands tours (7 en France, 1 en Italie, 3 en Espagne), il fut toutefois limité par ses piètres talents de descendeur à une époque où les arrivées au sommet étaient moins fréquentes.
"S'il était né 20 ans plus tard, il aurait doublé son score", estimait Pierre Chany, le journaliste de référence de l'époque.
Bahamontes est aussi resté dans l'histoire du Tour pour avoir mis pied à terre en 1954 alors qu'il était en tête de la course. Venant de franchir le col de Romeyère, il s'arrêta pour prendre un cornet de glace à un marchand ambulant et attendre ses poursuivants. "On me demande de gagner le GP de la montagne, c'est ce que je fais", répondit-il à ceux qui s'étonnaient.
Celui qui commençait ses phrases par "moi, il" lorsqu'il voulait s'exprimer en français s'était retiré dans sa bonne ville de Tolède, où il était propriétaire d'un magasin de cycles. Sur l'immeuble du centre-ville, dix lettres étaient peintes pour toute enseigne: BAHAMONTES.
Débordant d'énergie malgré l'âge, l'Espagnol, silhouette fine et agile, n'était pas souvent remonté sur le vélo après sa retraite décidée en 1965, mais il gardait la passion du cyclisme, longtemps en tant qu'organisateur d'une course amateurs ou plus souvent encore pour des hommages rendus à cette légende sportive riche en anecdotes.
Ainsi, le tableau que lui avait offert Salvador Dali, représentant Bahamontes en plein effort sur son vélo. Le plus ancien vainqueur du Tour avouait sa perplexité: "J'ai beau regarder le tableau sous tous ses angles, je ne me reconnais toujours pas."
B.Agosti--IM