Procès des viols de Mazan: "Société machiste et patriarcale" et "fantasme de soumission"
Deux discours se sont opposés mardi au procès des viols de Mazan: celui de Gisèle Pelicot, politique, fustigeant une société "machiste et patriarcale", et celui du chef d'orchestre de ses viols, son ex-mari, Dominique Pelicot, qui a plaidé le "fantasme" de "soumettre une femme insoumise".
"Il est temps qu'on change de regard sur le viol", a plaidé Gisèle Pelicot, au dernier jour des débats sur les faits, devant la cour criminelle de Vaucluse, à Avignon.
Pour elle, le procès de son ex-mari et de ces dizaines d'hommes recrutés sur internet à qui elle a été livrée, pendant dix ans, assommée d'anxiolytiques, restera celui d'une "société machiste et patriarcale, qui banalise le viol".
"Le procès de la lâcheté", a répété à trois reprises la septuagénaire. Face à elle, dans le box des accusés, Dominique Pelicot baissait la tête.
"J'ai entendu: +j'étais téléguidé+, j'ai entendu: +j'ai bu un verre d'eau, j'étais drogué+. Mais à quel moment ils n'ont pas percuté ?", s'est-elle insurgée. "Ils ont violé ! J'entends ce monsieur qui dit, +un doigt, c'est pas un viol+. Qu'il s'interroge !", a-t-elle cinglé.
- "Un démon" -
Dernier des 51 accusés à se présenter à la barre mardi matin, juste avant qu'elle ne prenne la parole, Philippe L., 62 ans, avait adopté cette même ligne de défense, assurant qu'il était "aux ordres" de Dominique Pelicot, un "démon", et que cette nuit de juin 2018 il croyait alors participer au scenario d'un couple libertin où la femme faisait semblant de dormir.
Poursuivi pour "viols aggravés", ce sexagénaire vivant de petits travaux de jardinage encourt 20 ans de réclusion criminelle, comme la plupart des 50 autres accusés, 50 hommes âgés de 26 à 74 ans.
Malmenée par plusieurs avocats de la défense, certains allant jusqu'à l'accuser d'avoir été consentante, Mme Pelicot a affirmé pendant près de deux heures avoir été "sous emprise" ou "manipulée" pendant leurs 50 ans de vie commune avec son époux: "Absolument rien ne m'a mis la puce à l'oreille !".
"Je ne pardonnerai jamais", a-t-elle en tous cas assuré: "Monsieur Pelicot avait beaucoup de fantasmes, que je ne pouvais pas tous assouvir. (...) Comme je ne voulais pas aller dans un club échangiste, il s'est dit avoir trouvé la parade en m'endormant ! J'ai perdu 10 ans de ma vie que je ne rattraperai jamais. Jamais ! Jamais cette cicatrice ne se refermera !", a-t-elle lâché, retenant difficilement sa colère.
Une colère qu'elle entretient aussi contre les coaccusés, qui "à aucun moment ne sont allés dénoncer" les faits: "Ils sont venus assouvir leurs pulsions sexuelles et, seulement après, se sont dit que quelque chose n’allait pas dans cette chambre".
"Certains me présentent des excuses, et je peux davantage les regarder dans les yeux. Mais ils ont tous commis un crime", a-t-elle accusé: "Toute ma vie je vais devoir vivre avec ça. Que des hommes m'ont souillée, je vais devoir vivre avec ça, toute ma vie. Toute ma vie ", a-t-elle conclu, en fin de matinée, précisant attendre enfin "des explications" de son ex-mari.
En terme d'explication, Dominique Pelicot a tenté lui de justifier cette décennie de viols par un "fantasme", celui de "soumettre une femme insoumise, par pur égoïsme". Mais "sans la faire souffrir", a-t-il osé, interrogé dans l'après-midi.
- "Tu mourras dans le mensonge !" -
Puis il a à nouveau catégoriquement nié le moindre geste incestueux sur sa fille, Caroline Darian, dont il avait diffusé sur les réseaux sociaux des photos d'elle nue et visiblement endormie, portant parfois des dessous de sa mère. "Caroline je ne t'ai jamais rien fait", a-t-il lancé, immédiatement coupé par sa fille.
"Tu mourras dans le mensonge ! Seul, seul dans le mensonge Dominique Pelicot ! C'est bien dommage pour toi, tu n'as pas de face !", lui a répondu en criant celle qui ne le qualifie plus que de "géniteur".
Les avocats de la défense ont également tenté d'avoir des détails sur deux autres dossiers où le principal accusé est toujours mis en cause par le pôle des affaires classées de Nanterre: un meurtre avec viol à Paris en 1991, qu'il nie, et une tentative de viol en Seine-et-Marne en 1999, qu'il reconnaît, après avoir été confondu par son ADN.
Mais il a refusé de s'exprimer sur ces affaires.
Mercredi le procès va entrer dans une nouvelle phase, celle des plaidoiries, avec les parties civiles, avant une suspension jusqu'à lundi, pour le début du réquisitoire du ministère public. Le verdict est attendu le 20 décembre au plus tard.
I.Barone--IM