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Chez les médecins, le million d'Américains morts du Covid-19 a laissé des traces
Chez les médecins, le million d'Américains morts du Covid-19 a laissé des traces / Photo: Go Nakamura - GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP

Chez les médecins, le million d'Américains morts du Covid-19 a laissé des traces

"J'ai signé davantage de certificats de décès ces deux dernières années que durant toute ma carrière de médecin": au moment où les Etats-Unis franchissent la barre du million de morts du Covid-19, Joseph Varon, 59 ans, est formel. "Il faut être fou pour être docteur en pleine pandémie".

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Epuisement, peur persistante de la foule... Les professionnels de santé américains continuent aujourd'hui à payer le prix d'une épidémie ayant accaparé toutes leurs forces, tant physiques que psychiques.

Deux ans après avoir interviewé deux médecins confrontés à la mort comme jamais auparavant, l'AFP est revenue avec eux sur les séquelles laissées par la crise sanitaire.

- "Long cauchemar" -

A la tête du service de soins intensifs dans un petit hôpital d'un quartier défavorisé de Houston, au Texas, M. Varon se souvient du premier décès: un employé d'hôtel, mort en à peine une semaine. "C'est mon métier, mais j'ai été choqué qu'un homme de 34 ans, par ailleurs en bonne santé, meurt ainsi sous nos yeux."

Pour le médecin, la pandémie a été "un long cauchemar ininterrompu, avec des phases au milieu qui étaient encore pires."

Il se rappelle des infirmières en pleurs face au flux continu de patients, des lits dans les couloirs, des intubations à la chaîne... "Aucun hôpital aux Etats-Unis n'était équipé pour faire face à la crise", juge le médecin, arrivé du Mexique il y a 35 ans, attiré par un système de santé plus performant.

"Un million de morts, comment c'est possible? On est aux Etats-Unis, pas dans un pays du tiers-monde où il n'y n'a rien! Mais c'est arrivé", se désole-t-il, blâmant la politisation du débat, par exemple autour des masques.

Au tout début, la maladie restait mystérieuse et menaçante, et la crainte d'infecter sa famille ou de tomber soi-même gravement malade était grande.

Il se souvient que sa femme lui faisait enlever ses vêtements dans le garage en rentrant chez lui, avant une douche obligatoire.

"L'idée de mourir à cause de ce que vous faites, de laisser derrière vous vos enfants orphelins, est terrifiante", a confié à l'AFP Daniel Brenner, médecin urgentiste tout comme sa femme. Au début de la pandémie, il était en poste dans un grand hôpital de Baltimore, sur la côte est américaine.

Il estime présenter aujourd'hui certains symptômes post-traumatiques. "Je deviens très anxieux quand je suis dans des foules où les gens ne portent pas de masque", explique le trentenaire.

Des sanglots dans la voix, il assure faire de son mieux pour ne pas "infliger ses traumatismes" à ses trois jeunes enfants. "Mais c'est très dur."

- Rythme effréné -

En décembre 2020 une photo de Joseph Varon avait fait la Une des journaux: on le voyait enlacer, le jour de Thanksgiving, un patient âgé ayant contracté le coronavirus. L'homme voulait désespérément être avec sa femme, mais les visites étaient interdites.

"Je me suis senti si triste", explique le médecin. A l'époque, "les gens mourraient seuls en soins intensifs, sans aucune famille autour d'eux."

Selon lui, cette image ayant fait le tour du monde est "devenue un symbole, montrant que les médecins aussi ont des sentiments". Il dit se rappeler de chacun de ses patients décédés.

Outre ces souvenirs, le rythme de travail effréné l'a profondément atteint. "J'ai vieilli très vite. Je me sens épuisé", dit-il, tout en martelant qu'il ne prendra pas de vraies vacances avant "que la pandémie soit complètement terminée".

Il ne compte plus le nombre de jours de travail d'affilée. Au mariage de sa fille, il a continué à faire des ordonnances par téléphone. "Ce sont des choses dont je me rappellerai toute ma vie. J'espère que ce ne sera pas le cas de ma famille. Mais même si j'étais là physiquement, je n'étais pas là".

Aujourd'hui, la situation s'est améliorée. Bien que les Etats-Unis enregistrent de nouveau une hausse des cas de Covid-19, les personnels de santé ont appris à mieux soigner cette maladie, et des traitements sont disponibles.

Surtout, les vaccins ont marqué un tournant.

"C'était incroyable, parce que vous ne réalisez pas la pression exercée sur vous jusqu'à ce qu'une partie soit levée", se souvient Daniel Brenner. Il demande désormais à tous ses patients s'ils sont vaccinés ou non, et si ce n'est pas le cas, tente de les convaincre.

Car malgré les progrès faits, environ 330 personnes meurent encore chaque jour du Covid-19 aux Etats-Unis. Pour lui, ces décès provoquent "un mélange de tristesse et de frustration, car ils sont évitables."

P.Rossi--IM