Ukraine: à Bakhmout, l'entraide pour "survivre"
Anatolii remplit vite sa remorque avec des pelletés de charbon. Il faut se hâter, même si l'endroit est le moins exposé de Bakhmout, ville du Donbass ukrainien autour de laquelle de violents combats opposent forces ukrainiennes et russes, dans l'est de l'Ukraine.
Six gros tas de roche noire ont été déposés là par les autorités locales, sur le parking d'un supermarché, fermé depuis longtemps, à l'entrée sud-ouest de la ville qui compte encore près de la moitié des 70.000 habitants d'avant-guerre, selon les autorités.
Sur le parking, les voitures avec leur remorque se succèdent et repartent avec leur chargement pour livrer ceux qui n'ont pas de véhicule.
A l'arrière d'une Lada, posés en vrac sur le siège : un gros sac de rouleaux de papier toilette, un carton de bougies, et des bombonnes d'eau.
"Le fait que nous soyons encore là et que nous aidions les autres, cela signifie beaucoup pour nous. Nous ne restons pas là à ne rien faire. On ne peut pas survivre tout seul", explique Anatolii, 60 ans, entre deux pelletés.
Les derniers résidents de la ville peuvent prendre jusqu'à deux tonnes de charbon par maison. De quoi se chauffer à l'approche du rude hiver ukrainien, là où il n'y plus depuis mi-octobre, ni électricité ni eau.
Les petits monticules de charbon ont presque disparu. Le bruit des pelles raclant l'asphalte pour ramasser les résidus ne couvre pas celui, incessant, des tirs croisés d'obus qui résonnent avec fracas dans Bakhmout.
- "Penser aux autres" -
Au début de la guerre il y a huit mois, "nous pouvions dire que nous ressentions des choses (sur ce qui se passait), mais maintenant nous ne faisons que survivre", poursuit Anatolii, barbe blanche et tête couverte d'un bonnet.
"On fait de l'aide humanitaire. J'ai une maison, j'ai des abeilles, ce que j'ai dans mon jardin, je le donne aux gens gratuitement (...) Si quelqu'un a besoin de carottes, de choux, de betteraves, qu'il les prenne (...) Je n'ai pas besoin de beaucoup, tant que cela peut aider les gens à survivre. En ce moment, nous pensons davantage aux autres", plaide-t-il.
Très peu d'habitants s'aventurent dans les rues, hormis pour faire quelques courses le matin sur un petit marché installé sur un trottoir du centre-ville, ou bien dans les derniers magasins d'alimentation encore ouverts.
La ville elle-même est quotidiennement l'objet de bombardements. Fin octobre, une frappe russe a tué sept personnes.
Rare enfant présent dans la ville, Sasha, âgé d'une douzaine d'années, vient d'acheter de la limonade et rentre chez ses parents. "Une roquette est tombée là. Une personne est morte", dit-il en montrant l'une des entrées de son immeuble, avant de s'engouffrer dans le hall.
Les duels d'artillerie sont surtout en périphérie, et la ligne de contact se situe actuellement dans les faubourgs est de la ville. Les combats sont âpres, les morts nombreux, mais les positions sont quasiment figées depuis 4 semaines.
- "Nous gagnons" -
"C'est devenu plus difficile ces trois derniers jours. (Les Russes) poussent de plus en plus. Mais nos gars tiennent leurs positions", assure à l'AFP Vitalii, un soldat ukrainien de 26 ans, croisé dans un lieu abrité du centre ville.
Deux véhicules de combat y sont stationnés.
L'équipage de l'un des chars vient de recevoir l'ordre d'aller vers la ligne de front, pour tirer ses obus. Il revient 15 mn plus tard, sa mission remplie.
Visage tout rouge, le chef d'équipe sort de son blindé et boit à grande gorgée à une gourde d'eau.
"Quand nous sommes arrivés (à Bakhmout), ont tirait sur le terril, en dehors de la ville. Le jour suivant, nous avons tiré à l'intérieur de la ville. Et aujourd'hui, nous tirons à nouveau à l'extérieur", explique-il, sans vouloir donner son nom.
Les Russes "sont entrés, et nous les avons repoussés. Et maintenant, nous tirons (sur leurs positions) à 2 km de la ville. Donc, en un mot, nous gagnons", résume le soldat dans un grand sourire.
L.Bernardi--IM