A Atlanta, un quartier huppé rêve de sécession
Dans une maison luxueuse du nord d'Atlanta, un grand divorce urbain se prépare. Les résidents du quartier le plus riche de la capitale de Géorgie, lassés de payer des impôts à cette ville qui ne sait selon eux pas gérer la criminalité, veulent faire sécession.
"Nous vivons quasiment dans une zone de guerre", affirme sans détour Bill White, installé confortablement dans un fauteuil de cette gigantesque demeure aux colonnes blanches, la propriété d'un ami.
"Un enfer de nids de poules", des "invasions de domicile" incessantes, "des meurtres"... les exemples de cette criminalité supposément hors de contrôle sont partout, assure le quinquagénaire, à la tête d'un mouvement pour que le quartier de Buckhead forme sa propre municipalité.
Si Atlanta connaît effectivement depuis plusieurs années une flambée d'homicides, le taux de criminalité est lui en baisse à Buckhead, selon des statistiques officielles. Qu'importe. Bill White "ne croit pas" à ces données.
L'entrepreneur, presque aussi friand des superlatifs que Donald Trump - les deux hommes étaient "très proches" par le passé, assure-t-il - rêve d'un Buckhead indépendant, avec son propre maire, ses propres écoles, et surtout, sa propre police.
Michael Owens, professeur de sciences politiques à l'université Emory d'Atlanta, voit ces velléités d'un oeil circonspect.
"Nous avons toujours créé des villes aux Etats-Unis", affirme l'expert. "Ce qui est en revanche très étrange ces jours-ci, c'est la volonté de se séparer de villes existantes", déclare-t-il. Ces projets de sécession "reflètent la polarisation qui existe aux Etats-Unis", estime le professeur.
Car Buckhead est loin d'être un exemple isolé. En 2002 déjà, des résidents d'Hollywood avaient en vain tenté de divorcer de Los Angeles. Il y a deux ans, les habitants d'une zone rurale de l'Oregon avaient quant à eux voté pour quitter l'Etat démocrate et intégrer l'Idaho voisin, bien plus conservateur.
A Atlanta, les ambitions de Buckhead donnent des sueurs froides à la ville, qui dépend largement du quartier cossu pour ses recettes fiscales.
- "Rétablir l'ordre" -
La métropole n'a qu'à "rectifier son budget", rétorque Warren Jolly, le propriétaire de la richissime maison où des serveurs commencent à s'agiter près d'un escalier tapissé d'un imprimé léopard.
Le promoteur immobilier de 58 ans organise chez lui une levée de fonds pour Burt Jones, candidat pour être le nouveau vice-gouverneur de Géorgie lors des élections de mi-mandat de novembre. A ce poste, le républicain pourrait considérablement faciliter le processus d'indépendance de Buckhead. Ce qu'il s'est engagé à faire.
Devant un parterre d'invités dégustant des mini-burgers aux beignets de tomates, le quadragénaire à la cravate violette se lance dans une tirade sur le besoin de "rétablir l'ordre" à Atlanta.
"Nous ne pouvons pas avoir le pire taux de criminalité du pays", alerte-t-il. Un message qui résonne auprès de cette foule de républicains qui, comme dans le reste du pays, accusent les démocrates d'être laxistes en matière pénale. Lors de cette soirée, Burt Jones récoltera plus de 100.000 dollars pour sa campagne.
Mais pour certains résidents d'Atlanta, ce projet de sécession émanant du quartier le plus blanc de la ville à majorité afro-américaine, est surtout l'expression d'une certaine forme de racisme.
"C'est un vol de terres dans le berceau de Martin Luther King", s'insurge Tricia Harris, résidente de la métropole de 500.000 habitants et membre d'un groupe qui lutte contre l'indépendance de Buckhead. "C'est hallucinant."
Cette mère de famille quadragénaire dénonce une "ségrégation", perpétrée par "des riches blancs", qui n'aura d'après elle que peu d'effet sur le taux de criminalité de la ville: "Ils veulent couper les vivres des quartiers qui en ont le plus besoin, à quoi s'attendent-ils ?", s'exclame-t-elle.
Raciste ? Bill White trouve l'accusation "insultante". "On veut que la criminalité baisse, payer moins d'impôts et qu'on réponde à nos appels d'urgence, et ça fait de nous des racistes ?", s'exclame-t-il.
"La seule solution qui s'offre à nous est très simple", martèle-t-il. "C'est Buckhead City."
V.Agnellini--IM