"Trop tard": les chemins de sortie se ferment sur le nouveau front ukrainien
Le nouveau-né enveloppé d'une couverture rose dans un hôpital de la rive nord du fleuve Dniepr, en Ukraine, ne verra peut-être jamais ses grands-parents dans le sud annexé par la Russie.
Sa mère a pris la fuite, optant pour la sécurité toute relative de Zaporijjia, ville contrôlée par le gouvernement ukrainien, où le bébé est né citoyen ukrainien dans un pays envahi par les Russes il y a huit mois.
Les grands-parents sont restés de l'autre côté du fleuve.
"Il est peut-être trop tard pour qu'ils s'échappent", se lamente Anastasia Skachko, 19 ans, en posant son regard sur sa fille encore sans prénom.
"Je ne veux même pas qu'ils essaient. Les routes sont soit minées, soit bombardées", glisse-t-elle.
La contre-offensive ukrainienne, qui a vu les Russes céder la plupart des terres conquises dans le nord, a atteint le sud très stratégique.
- S'accrocher -
Les forces russes, découragées, s'accrochent à la région méridionale de Kherson - un pont terrestre qui permet au Kremlin d'accéder à la péninsule de la Crimée annexée - et bombardent les Ukrainiens, qui progressent avec une puissance renouvelée.
Les combats détruisent les villes situées le long du fleuve et bloquent les voies d'évacuation utilisées par les familles au début de la guerre.
Anastasia Skachko raconte qu'elle a réussi à joindre sa mère sur WhatsApp pour lui annoncer qu'elle était désormais grand-mère. Mais le numéro de téléphone commençait par l'indicatif international russe +7 au lieu de l'indicatif ukrainien +38.
Les Russes ont en effet déconnecté les lignes existantes du système ukrainien pour asseoir leur autorité et couper le flux d'informations.
"Il est difficile de dire si elle verra un jour la petite," dit Anastasia. "Nous le savons toutes les deux. Mais aucune de nous ne voulait en parler au téléphone.
- Une prison ouverte -
La loi martiale imposée par les forces du Kremlin sur les terres que la Russie revendique comme siennes rend la vie quotidienne encore plus imprévisible. La Russie a fermé le dernier point de contrôle au sud pour empêcher les gens de fuir vers les territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien.
Certains civils sont acheminés par bus, plus loin du front, vers des zones soumises au contrôle russe, une démarche que les Ukrainiens décrivent comme une déportation forcée.
La poignée de personnes qui ont réussi à atteindre la ville de Zaporijjia, en négociant avec les soldats, ont décrit la vie chez eux comme une prison à ciel ouvert.
Les journalistes ne peuvent se rendre dans la région que dans le cadre de visites soigneusement encadrées par le Kremlin.
"Il y a des soldats avec des chiens et des mitrailleuses à chaque coin de rue", décrit Oleksandra Boyko, originaire de la ville occupée de Melitopol, qui s'est échappée avec sa petite fille. "La plupart d'entre eux sont des Tchétchènes".
Le Kremlin s'est appuyé sur l'armée du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov pour tenir une partie des terres conquises.
Les personnes ayant fui décrivent ces soldats comme des hors la loi. "Les gars du Daguestan (voisin) sont un peu plus gentils, mais les hommes de Kadyrov sont tout simplement brutaux", décrit Natalia Voloshyna, originaire de Berdiansk occupé.
- Pression psychologique -
Beaucoup évoquent la pression psychologique liée à l'invasion. Les femmes interrogées par l'AFP soulignent que les dirigeants installés par le Kremlin n'embauchent ou n'aident que les personnes qui renoncent à leur citoyenneté ukrainienne pour adopter la citoyenneté russe.
"Ils vous disent, soit vous travaillez avec nous, soit vous n'avez rien. Je leur ai immédiatement dit non", explique Natalia Voloshyna.
Oleksandra Boyko s'est vu proposer des "sommes énormes" si elle enregistrait son bébé de quatre mois en tant que citoyen russe. "J'ai dit non par principe. Je suis Ukrainienne. Elle devrait être Ukrainienne", précise la native de Melitopol.
"Certains acceptent parce qu'il n'y a presque pas de travail et ils ne vous embaucheront pas sans passeport russe", ajoute-t-elle. "S'il n'y a rien à manger, que pouvez-vous faire d'autre ?".
C.Abatescianni--IM