Espagne: adoption d'une loi phare réhabilitant les victimes du franquisme
Exhumation des disparus, annulation des condamnations politiques: près d'un demi-siècle après la mort du dictateur Franco, le gouvernement de gauche espagnol a fait adopter mercredi par le Parlement son texte phare visant à mettre fin au "silence des vaincus" de la Guerre civile.
Arrivé au pouvoir en 2018, le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez a fait de la réhabilitation des victimes de ce conflit (1936-1939) - souvent qualifié de prélude à la Deuxième Guerre mondiale - et de celles de la dictature mise en place par son vainqueur, le général Francisco Franco, jusqu'à sa mort en 1975, l'une de ses principales priorités.
Mais cette loi de "mémoire démocratique" divise dans un pays où les blessures du passé ne sont pas refermées et où la droite, qui a promis son abrogation si elle revenait au pouvoir l'année prochaine, accuse la gauche de les raviver.
"L'Histoire ne peut pas se construire sur la base de l'oubli et du silence des vaincus" de la Guerre civile, dit, en préambule, ce texte.
Il a été adopté définitivement par le Sénat avec 128 voix pour, 113 contre et 18 abstentions, après avoir été voté en première lecture par la Chambre des députés mi-juillet.
"Aujourd'hui nous faisons un pas de plus vers la justice, la réparation et la dignité pour toutes les victimes #LaMémoireC'estLaDémocratie", a tweeté M. Sanchez peu après le vote.
- Plus de 100.000 disparus -
Avec l'adoption de cette loi, la recherche des victimes disparues de la Guerre civile et de la dictature deviendra pour la première fois une "responsabilité de l'État", qui financera directement les fouilles et les exhumations.
Une banque d'ADN des victimes sera créée afin de faciliter leur identification tandis qu'une carte de toutes les fosses communes du pays sera élaborée.
"L'Etat doit exhumer les corps des victimes de la dictature franquiste (...) Il y a toujours 114.000 disparus forcés en Espagne", c'est-à-dire des personnes dont le sort a été volontairement dissimulé, avait dit M. Sanchez en juillet.
L'Espagne est "le pays au monde comptant le plus de disparus (...) après le Cambodge", meurtri par les exactions des Khmers rouges, avait-il affirmé.
Les disparus de la Guerre civile sont très majoritairement républicains, le régime franquiste ayant exhumé de nombreuses victimes issues du camp nationaliste des fosses communes, pour leur donner une sépulture.
Jusqu'ici, les recherches étaient principalement du fait des associations de proches des victimes - comme l'a montré Pedro Almodovar dans son film "Madres Paralelas" - ce qui avait été dénoncé en 2014 par le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU qui avait critiqué, dans un rapport, les "lacunes" et "l’indifférence des institutions étatiques".
Le prédécesseur de M. Sanchez, le conservateur Mariano Rajoy, au pouvoir de 2011 à 2018, s'était, lui, vanté de ne pas avoir dépensé un euro d'argent public dans l'application d'une première loi de "mémoire historique", adoptée en 2007 sous un précédent gouvernement socialiste.
- Annulation des condamnations sommaires -
Au-delà de la recherche des disparus, la loi adoptée mercredi prévoit l'annulation des condamnations sommaires prononcées par la justice du régime franquiste et reconnaît pour la première fois comme victimes du franquisme les bébés "volés" par le régime aux familles de républicains.
Un parquet dédié aux enquêtes sur les violations des droits humains commises durant la Guerre civile et la dictature sera par ailleurs créé. Jusqu'ici, la loi d'Amnistie de 1977 a empêché toute poursuite au nom de la transition vers la démocratie.
Pour l'ARMH (Association pour la récupération de la mémoire historique), l'un des principaux groupes de défense de la mémoire des victimes républicaines de la guerre civile, cette loi "perpétue l'immunité pour les franquistes et la négation des droits des victimes" car elle "maintient en vigueur la loi d'amnistie" et qu'elle "ne juge" ni "n'indemnise" personne.
Après l'exhumation en 2019 de Franco de son mausolée monumental situé près de Madrid, cette loi constitue le deuxième temps fort du gouvernement sur la Guerre civile et la dictature.
Après des mois de bataille judiciaire entre l'exécutif et ses descendants, la dépouille du "Caudillo" avait été transférée dans un cimetière plus discret du nord de Madrid afin que son mausolée du "Valle de los Caidos" ne puisse plus être un lieu d'apologie du franquisme.
M.Fierro--IM