Eric Dupond-Moretti, un garde des Sceaux fragilisé pour "réparer" la justice
Poids lourd du gouvernement, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a obtenu des hausses budgétaires inédites pour "réparer" la justice, sans parvenir à éteindre son conflit avec les magistrats et à éviter un encombrant renvoi en procès.
Lundi matin, la Cour de justice de la République a décidé de le faire comparaître devant elle pour prise illégale d'intérêts. Ses avocats ont immédiatement annoncé le dépôt d'un pourvoi en cassation.
Nommé à la surprise générale à l'été 2020, reconduit sur le fil lors du remaniement de juillet dernier, l'ex-avocat devra désormais convaincre Emmanuel Macron que ses ennuis judiciaires, sans précédent pour un garde des Sceaux, n'entraveront pas sa mission de "réparer" une institution en crise chronique.
"J'ai toujours dit que je tenais ma légitimité du président de la République et de la Première ministre et d'eux seulement", disait-il récemment en anticipant son renvoi en procès.
L'Elysée lui a jusqu'à présent maintenu sa confiance et semble tenir à ce ministre clivant et éruptif qui n'hésite pas à attaquer à droite et à gauche, le Rassemblement national comme La France insoumise, ou à dénoncer le climat de "délation" que feraient régner certaines féministes.
A son actif Place Vendôme, l'ancien ténor du barreau, âgé de 61 ans, peut se targuer d'avoir arraché trois hausses consécutives de 8% du budget de la Justice, dont une grande partie financera la construction de 15.000 places de prison.
- "Réparer l'urgence" -
"J'ai réparé l'urgence", aime-t-il répéter. La justice va désormais "plus vite", "travaille mieux" et s'est "rapprochée des Français", soutient également celui qui a introduit la possibilité de filmer certaines audiences pour mieux la faire connaître.
Cette embellie supposée est toutefois contestée par les oppositions et une partie de la profession, qui continue de pointer la sous-dotation de la justice en France par rapport à ses voisins européens.
Fin 2021, dans une démarche sans précédent, les deux tiers des 9.000 magistrats français avaient d'ailleurs signé une tribune décrivant leur épuisement et la perte de sens de leur mission.
Les consultations des Etats généraux de la Justice, lancées par l'exécutif fin 2021, ont conforté ce constat en concluant au "délabrement avancé" de l'institution, auquel M. Dupond-Moretti a promis de s'attaquer avec un plan d'actions prévu pour octobre.
Un premier geste a été consenti mi-septembre avec l'annonce surprise d'une hausse mensuelle de 1.000 euros brut en moyenne pour les magistrats de l'ordre judiciaire.
Pour l'heure, ce geste n'a pas suffi à mettre un terme au conflit larvé qui continue d'opposer le ministre à la magistrature, même si un timide dégel s'est amorcé avec l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire).
Son arrivée Place Vendôme avait été accueillie comme "une déclaration de guerre" par l'USM, tandis que le Syndicat de la magistrature s'interrogeait sur le "signal" envoyé aux juges.
Ce conflit s’était enflammé avec la décision du ministre, prise très vite après sa nomination, d'ordonner des enquêtes disciplinaires contre quatre magistrats avec qui il avait eu maille à partir en tant qu'avocat.
- Fiasco -
Ulcérés par ce mélange des genres, les deux syndicats avaient déposé une plainte inédite contre le ministre, qui a conduit à sa mise en examen en juillet 2021 et aujourd'hui à son renvoi en procès.
Les poursuites disciplinaires initiées par le ministre ont pour l'heure viré au fiasco: deux magistrats ont été blanchis et aucune sanction n'a été réclamée contre les deux autres.
Visée par une de ces procédures, l'ancienne procureure financière Eliane Houlette avait attribué ces poursuites au "tumulte organisé par un ancien avocat familier des coups d'éclats médiatiques".
Habitué des plateaux télé du temps où il fréquentait les prétoires, Me Dupond-Moretti s'est illustré en défendant Patrick Balkany, Jérôme Cahuzac, Abdelkader Merah, le frère de l'auteur des attentats de Toulouse en 2012, et la boulangère d'Outreau - l'affaire de viols devenue scandale judiciaire qui l'a fait connaître.
Avec sa "grande gueule" et sa carrure, il avait fait trembler les cours d'assises, décrochant le surnom d'"Acquittator".
"L'ogre du Nord", de "sang-mêlé" dit-il, est né à Maubeuge (Nord) d'un père métallurgiste décédé lorsqu'il avait 4 ans et d'une mère immigrée italienne et femme de ménage.
Père de deux enfants, en couple avec la chanteuse québécoise Isabelle Boulay, ce fan de Georges Brassens - un vieux vinyle trône dans son bureau - était plutôt classé à gauche avant son entrée au gouvernement.
Sa première candidature, sous la bannière macroniste aux régionales de juin 2021, s'était soldée par une sévère défaite.
M.Fierro--IM