Bangladesh: les réfugiés rohingyas commémorent le "génocide" de leur peuple en Birmanie
Plusieurs milliers de Rohingyas, réfugiés dans des camps de fortune dans le sud-est du Bangladesh, ont manifesté jeudi pour marquer le cinquième anniversaire des massacres de leur peuple en Birmanie, qu'ils qualifient de "génocide".
A grand renfort de banderoles et de slogans, cette communauté majoritairement musulmane s'est rassemblée dans le dédale de Cox's Bazar, plus grand camp de réfugiés au monde.
Nombreux en ont profité pour exiger l'abrogation d'une loi birmane de 1982, qui les a privés de leur citoyenneté dans leur pays d'origine, à majorité bouddhiste.
Environ 750.000 Rohingyas ont fui une brutale offensive, lancée par l'armée en Birmanie, il y a exactement cinq ans jeudi, et ont trouvé asile au Bangladesh voisin, où se trouvaient déjà plus de 100.000 réfugiés, victimes de précédentes violences.
Ces milliers de Rohingyas, pour la plupart vêtus d'une chemise et longyi (sarong) traditionnels birmans, se sont alignés pacifiquement pour cette "Journée de commémoration du génocide".
"Des générations pourraient être affectées si nous manquons à notre obligation de défendre les Rohingyas et tous les habitants de Birmanie, leurs droits fondamentaux et leur dignité", déclarait jeudi Noeleen Heyzer, émissaire de l'Onu pour la Birmanie, après une visite dans les camps.
- "égorgée" -
En mars, les Etats-Unis ont pour la première fois reconnu que des Rohingyas avaient été victimes d'un "génocide" perpétré par l'armée birmane.
"Seuls les Rohingyas peuvent comprendre la douleur du 25 août. Il y a cinq ans, ce jour-là, près d'un million de Rohingyas ont été déplacés. Ce jour-là, en 2017, plus de 300 de nos villages ont été réduits en cendres", déclare Maung Sawyedollah, un jeune chef communautaire, en tête du cortège à Kutupalong.
Les Rohingyas survivent, entassés dans des camps insalubres, et refusent de retourner en Birmanie tant qu'ils n'auront pas obtenu des droits de citoyenneté et des garanties de sécurité.
"Tout ce que nous voulons, c'est un retour sûr et digne dans notre patrie", explique Sayed Ullah, un haut responsable de la communauté rohingya. "Malheureusement, nos appels restent lettre morte".
"La communauté internationale ne fait rien. Ici, dans les camps, nous moisissons sous des abris de bâches et de bambous, nous survivons à peine grâce à l'aide sociale", déplore-t-il.
Des veuves, des mères qui ont perdu leur enfants, des victimes de viols, pleurent au souvenir des horreurs subies.
"Ils ont brûlé notre maison. Ma mère s'était terrée dans la maison. Ils l'ont traînée dehors. Ils lui ont d'abord coupé les mains, puis l'ont égorgée", se souvient Sufia Khatun, 42 ans.
- "Prison pour Rohingyas" -
Le Bangladesh refuse de pérenniser la présence de ces centaines de milliers de réfugiés.
Pour désengorger les camps, Dacca a déjà fait transférer quelque 30.000 réfugiés sur Bhashan Char, un îlot désert, aux conditions naturelles hostiles, dans le golfe du Bengale.
Le ministre des Affaires étrangères du Bangladesh, A.K. Abdul Momen, arguant de "problèmes environnementaux, sociaux et économiques" causés par l'afflux de Rohingyas, juge que "le rapatriement volontaire et durable est la seule solution à la crise".
La Haute-commissaire de l'ONU aux droits humains, Michelle Bachelet, a toutefois prévenu la semaine dernière que "les conditions ne sont pas réunies pour les retours" en Birmanie, régie depuis l'an dernier par une junte militaire à la suite d'un coup d'Etat.
Mais la situation sanitaire se dégrade dans les camps, selon une enquête publiée jeudi par Médecins sans frontières (MSF), où les cas de dysenterie ont augmenté de 50% par rapport à 2019 et les cas d'infections cutanées, comme la gale, explosent.
Les départs de feu y sont également fréquents. En 2021, une quinzaine de personnes ont perdu la vie dans un incendie gigantesque. Quelque 560 personnes avaient été blessées et jusqu'à 10.000 familles, soit plus de 45.000 personnes, avaient été déplacées.
Les Rohingyas s'inquiètent aussi de la criminalité qui ne cesse d'augmenter. Plus de 100 meurtres ont été commis en cinq ans, dont des chefs communautaires abattus récemment, probablement ciblés par des vendettas d'insurgés.
Les jeunes, sans perspectives d'avenir, n'ayant pas le droit de sortir des camps ni de travailler, sont livrés à l'ennui. Ce sont des recrues faciles pour toutes sortes de trafics et d'activités criminelles aux conséquences dramatiques.
Sous couvert de l'anonymat, redoutant des représailles de la police bangladaise, un jeune leader communautaire se plaint de leur réclusion dans ces camps "cernés de barbelés".
"C'est une prison pour Rohingyas."
L.Bernardi--IM