Métro du Caire: les femmes aux manettes
"Chaque jour, j'ai plusieurs milliers de vies entre les mains", s'enorgueillit Hind Omar, 30 ans, mère de deux enfants et l'une des deux premières conductrices du métro du Caire.
Quotidiennement paralysée par les embouteillages, la capitale égyptienne, mégalopole tentaculaire de plus de 20 millions d'habitants, manque cruellement de transports publics. Et les alternatives - des dizaines de milliers de minibus et tuk-tuks - sont peu sûres.
Depuis les années 1980, trois lignes de métro transportent chaque jour près de deux millions de voyageurs et trois nouvelles lignes verront bientôt le jour.
Mais avant même l'inauguration de ces lignes, le métro du Caire a fait sa révolution: pour la première fois, il a ouvert les postes de conducteurs aux femmes.
Hind Omar, pourtant diplômée en commerce, s'est précipitée sur l'annonce et a suivi cette année une formation pour devenir une pionnière dans un pays où officiellement en 2020 seules 14,3% des femmes avaient un emploi.
"Mes parents ont trouvé cette idée étrange mais ils ont fini par me soutenir", avoue à l'AFP la trentenaire en jeans-baskets, foulard noir et blanc sur la tête, polo marine et veste fluorescente estampillée "RATP", la Régie autonome des transports parisiens, sur le dos.
"Mon mari, lui, a été enthousiaste dès le début et m'a toujours encouragée."
- Passagers surpris -
De plus, les conductrices ont droit à un petit coup de pouce: elles n'ont pas de service de nuit, contrairement aux hommes.
Des encouragements, Hind Omar en a eu besoin pour l'examen d'entrée, raconte-t-elle tentant de couvrir le vacarme industriel du dépôt du métro coincé entre l'aéroport et le périphérique.
"C'était dur" car il fallait prouver "ma résistance à la pression" et surtout démontrer "ma capacité de concentration", car le principal défi est de "rester extrêmement vigilante de longues heures".
Au final, sur une promotion de 30 aspirants-conducteurs -hommes et femmes- encadrée par la RATP et l'Autorité nationale des tunnels égyptienne, deux femmes ont obtenu le droit de conduire des rames de métro.
En France, les premières conductrices de métro ont pris les manettes en 1982. En 1999, la Marocaine Saïda Abad est devenue la première conductrice de train d'Afrique et du monde arabe.
Et en Arabie saoudite, pays ultraconservateur, des femmes sont actuellement en formation pour conduire des locomotives, alors que jusqu'en 2018 elles n'avaient même pas le droit de prendre le volant d'une voiture.
Conduire le métro reste un exploit en Egypte, le plus peuplé des pays arabes où les femmes votent depuis 1956 mais restent soumises à une législation patriarcale vieille d'un siècle.
Suzanne Mohammed, 32 ans, se rappelle de ses premières arrivées en station à bord de sa locomotive grise et vert d'eau.
"Certains passagers avaient peur, ils doutaient de mes compétences et disaient ne pas se sentir en sécurité avec une femme aux manettes", raconte-t-elle.
"C'était nouveau pour eux et je comprends qu'ils aient été surpris", ajoute la jeune femme au foulard gris dans un pays où la propagation d'un islam rigoriste, l'enracinement du conservatisme et les coups de butoir successifs contre leurs droits ont rendu plus ardu l'accès des femmes à la vie active.
- "Ouvrir la voie" -
N'en déplaise aux grincheux, depuis début avril, les deux conductrices sont aux commandes des rames de la ligne 3, la plus moderne du réseau, six jours par semaine et pendant huit heures par jour.
Quasiment un privilège en Egypte. Si le pays compte plusieurs centaines d'avocates, il a par exemple fallu des décennies avant qu'une femme ne devienne juge dans les années 2000.
Elles sont plusieurs aujourd'hui et, en mars, la magistrate Radwa Helmi est devenue la première Egyptienne de l'histoire à siéger au Conseil d'Etat.
Au plus haut niveau de l'Etat toutefois, le président Abdel Fattah al-Sissi veut jouer sur les symboles: actuellement, un ministre sur cinq est une femme et un député sur trois.
Pour les féministes malgré tout, ce n'est qu'une façade puisque cela n'a pas empêché le gouvernement de proposer -sans succès- début 2021 un projet de loi visant à restreindre les droits de près de 50 millions d'Egyptiennes en permettant par exemple à leurs pères et frères d'annuler leur mariage.
Pas de quoi barrer la route aux deux conductrices du métro du Caire qui espèrent bien "ouvrir la voie à d'autres femmes".
Il faut, martèle Hind Omar, "que nous soyons nombreuses".
U.Sparacello--IM