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Retraites: la Cour des comptes livre un diagnostic "préoccupant" mais sans "déficit caché"
C'est un diagnostic sur lequel sont censés s'appuyer les partenaires sociaux pour leurs inédits rounds de négociations sur les retraites: la Cour des comptes brosse le tableau d'une situation financière "préoccupante", examine plusieurs leviers et enterre l'idée d'un "déficit caché" du système.
Particulièrement attendu pour faire "la vérité des chiffres" après des controverses, ce rapport de la "mission flash" commandée il y a une poignée de semaines par Matignon a été remis en début de matinée à François Bayrou par Pierre Moscovici.
Avant même sa publication officielle, le chef du gouvernement a évoqué "un déficit immédiat de six milliards qui, dans les années qui viennent, si on ne fait rien, dérivera vers 30 milliards" et insisté une nouvelle fois sur "l'apport de l'Etat pour équilibrer le système".
Ce rapport donne le coup d'envoi à trois mois de difficiles négociations entre syndicats et patronat pour améliorer l'impopulaire réforme des retraites de 2023, qui a décalé l'âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans.
Pour le Premier ministre, il n'y a ni "totem ni tabou" mais la "condition forte" de ne pas dégrader l'équilibre financier du système.
Sans surprise par rapport aux chiffres déjà connus, le diagnostic financier de la Cour des comptes est "préoccupant", a résumé Pierre Moscovici, son président.
Le déficit atteindrait 6,6 milliards d'euros en 2025, se "stabiliserait" jusqu'en 2030 environ à 15 milliards d'euros puis se dégraderait de manière "nette, rapide, croissante" à 30 milliards en 2045, "malgré la réforme de 2023", creusant de plus en plus la dette, retrace le rapport.
- "Aucun déficit caché" -
La réforme de 2023 aura "un effet positif" d'environ 10 milliards à l'horizon 2030, mais de plus en plus limité ensuite. Le système par répartition (les actifs financent les pensions des retraités actuels, ndlr) souffre d'un "déséquilibre croissant" dû au vieillissement de la population.
Ils se rapprochent plutôt des dernières prévisions du Conseil d'orientation des retraites (COR), référence en la matière.
Dans son calcul, M. Bayrou n'intégrait pas aux recettes les contributions (impôts affectés, subventions) versées par l'Etat pour équilibrer le régime de la fonction publique, jugeant que l'Etat cotise à un taux trop élevé par rapport au privé.
Dans son sillage, certains experts, minoritaires, ont pointé ces dernières semaines un "déficit caché". Une thèse "dangereuse" pour les syndicats, dont plusieurs ont averti qu'ils refuseraient de négocier sur cette base.
"Il n'existe aucun déficit caché", mais seulement "deux comptabilités différentes" de la contribution de l'Etat, bien connue, qui s'élevait en 2023 à 45 milliards d'euros, observe Pierre Moscovici.
"Sans rentrer dans des considérations politiques", il a rejeté "les analyses" appelant à rapprocher les taux de cotisations des régimes du privé et du public, les deux n'étant "pas comparables".
"La Cour des comptes a refermé le piège que le Premier ministre avait ouvert", a jugé le leader de la CFE-CGC François Hommeril jeudi, même si François Bayrou a jugé les chiffres de la Cour "en cohérence" avec les siens, puisqu'ils soulignent "l'apport de l'Etat".
- "Eclairer" les négociations -
Ce rapport fournira "une base utile et indiscutable (...) dans la poursuite des négociations", s'est réjoui Pierre Moscovici, disant attendre "de pied ferme tous ceux qui voudraient (le) contester".
Les travaux des partenaires sociaux débuteront le 27 février. Leur mission est ardue, tant les positions sont antagonistes.
Pour les syndicats, la priorité est de revenir en arrière sur les 64 ans.
Le patronat exclut toute augmentation de sa contribution financière, et avance des pistes irritantes pour les syndicats, comme l'instauration d'une dose de capitalisation dans le système, ou l'allongement du temps de travail.
"Nous sommes ici pour porter la voix de millions de salariés qui veulent l'abrogation de cette réforme", a souligné Sophie Binet (CGT) juste avant la remise du rapport aux partenaires sociaux, "certainement pas pour parler de capitalisation".
Pour "éclairer" les débats, la Cour des Comptes a estimé l'effet de différents leviers. Agir sur l'âge légal de départ aurait un "effet puissant à court terme" mais moins à long terme, à l'inverse de la durée de cotisation qui aurait "un effet de moindre ampleur, mais mieux étalé dans la durée". Des scénarii qui font l'impasse sur un retour aux 62 ans, ce qui devrait susciter des critiques.
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V.Agnellini--IM