Venezuela: Maria Corina Machado, visage et âme de l'opposition
Surnommée la "libératrice" par ses partisans et récompensée par le prix Sakharov, plus haute distinction pour les droits humains décernée par l'UE, Maria Corina Machado, la cheffe de l'opposition au Venezuela, vivait dans la clandestinité depuis la présidentielle contestée de juillet.
Le scrutin a été remporté, selon les autorités, par Nicolas Maduro, au pouvoir depuis 2013, tandis que l'opposition revendique la victoire de son candidat Edmundo Gonzalez Urrutia.
Jeudi, l'équipe de Mme Machado, 57 ans, a affirmé sur X qu'à l'issue d'une manifestation contre l'investiture du président Maduro à Caracas, l'opposante avait été "emmenée de force" puis relâchée, une version démentie par le gouvernement, qui parle de "mensonge", nie l'avoir arrêtée.
Mme Machado a choisi de rester au pays alors que M. Gonzalez Urrutia a lui été forcé en septembre à l'exil, visé par un mandat d'arrêt et harcelé verbalement par le pouvoir.
Fin septembre lors d'un entretien avec l'AFP, elle avait expliqué vivre parfois "des semaines sans contact humain", déclarant: "Je suis là où je me sens le plus utile pour la lutte".
"Si quelque chose m'arrive, la consigne est très claire (...), personne ne négociera la liberté du Venezuela contre ma liberté", affirmait-elle lundi, lors d'une interview par appel vidéo avec l'AFP, à quelques jours de la manifestation au cours de laquelle elle a fait jeudi sa première apparition en public depuis fin août.
Depuis la présidentielle, elle donnait des interviews virtuelles et animait brièvement les rares manifestations de l'opposition.
Sa méthode: apparaître subitement à un coin de rue pour monter sur un camion-podium, haranguer la foule puis disparaître rapidement en moto pour échapper à une arrestation.
- "Jusqu'au bout" -
La notoriété de Mme Machado a explosé lors des primaires de l'opposition en octobre 2023, recueillant plus de 90% des voix lors d'une démonstration de force avec 3 millions de votants.
Elle est rapidement devenue une favorite des sondages pour être surnommée la "libertadora" ("libératrice"), en hommage au "libertador" Simon Bolivar.
Réputée franche et sans demi-mesure, des traits de caractère qui selon les experts ont fortement contribué à sa popularité, Mme Machado répétait à l'envi le slogan de sa campagne: "jusqu'au bout".
Déclarée inéligible, Corina Machado s'était muée en porte-parole de la candidature de M. Gonzalez Urrutia, un diplomate de 74 ans inconnu du grand public.
Son nom n'était pas sur les bulletins mais le visage et l'âme de l'opposition, c'était elle. Elle a sillonné inlassablement le pays, faisant campagne en voiture, interdite de prendre l'avion. Cris, pleurs et bousculades accompagnaient ses apparitions.
Mme Machado promettait alors sans cesse "le changement" au Venezuela, dirigé depuis 1999 par le président Hugo Chavez (1999-2013), puis son héritier Nicolas Maduro.
Ce dernier a été proclamé vainqueur de la dernière présidentielle avec 52% des voix par le Conseil national électoral, considéré aux ordres du pouvoir. Celui-ci n'a pas publié le détail des votes, se disant victime d'un piratage informatique.
L'opposition, qui a publié des procès-verbaux des bureaux de vote, assure que M. Gonzalez Urrutia a remporté le scrutin avec plus de 67% des voix. Le pouvoir assure que ces procès-verbaux sont des "faux".
C'est justement Mme Machado qui avait demandé en amont à ses troupes d'organiser la collecte des procès-verbaux.
Cela lui a valu un fort soutien international, les Etats-Unis, l'Europe et de nombreux pays d'Amérique latine ne reconnaissant pas la réélection de M. Maduro.
Pour Mme Machado, le prix Sakharov était une "reconnaissance pour chaque prisonnier politique, demandeur d'asile, exilé et chaque citoyen de notre pays qui se bat pour ce qu'il pense".
Libérale, elle prône une économie de marché et a proposé la privatisation du géant public pétrolier Petroleos de Venezuela (PDVSA), principale source de revenus du pays dont la production s'est effondrée, en raison de la mauvaise gestion et de la corruption.
"Nous allons libérer notre pays et ramener nos enfants à la maison", lançait-elle en référence aux 7 millions de Vénézuéliens qui, selon l'ONU, ont quitté le pays en proie à une interminable crise économique.
Ce retour espéré de la diaspora la touche de près. Ses trois enfants - Ana Corina, Henrique et Ricardo - vivent à l'étranger.
Ingénieure de profession, Mme Machado a entamé son parcours politique en 2002 avec la création de l'association Sumate (Rejoins-nous), réclamant un référendum pour révoquer le président Chavez.
Accusée de trahison -Sumate percevant des fonds en provenance des États-Unis- et faisant l'objet de menaces de mort, elle avait alors décidé d'envoyer ses enfants, en bas âge, vivre aux États-Unis mais jure régulièrement comme son slogan de campagne qu'elle ira "jusqu'au bout".
E.Colombo--IM