Mexique: Bras de fer entre la Cour suprême et la présidente
Journée sous haute tension mardi au Mexique : la Cour suprême examine la possibilité d'invalider une partie de la réforme du pouvoir judiciaire, au risque d'une crise institutionnelle sans précédent avec la présidente Claudia Sheinbaum.
Une partie des onze membres de la Cour suprême veut défaire la pierre angulaire de la réforme constitutionnelle promulguée par le pouvoir de gauche: l'élection à partir de juin 2025 de tous les juges et magistrats du pays par un vote populaire.
Mardi, la présidente a accusé la Cour suprême "d'être en train de violer la Constitution". "On ne peut pas revenir sur ce qu'a décidé le peuple" et sur ce "qui fait déjà partie de la Constitution", selon ses arguments.
Promulguée mi-septembre par l'ex-président Andres Manuel Lopez Obrador, son mentor, la réforme est défendue avec ardeur par la nouvelle présidente, qui a été investie le 1er octobre.
Largement majoritaire au Parlement, la gauche justifie ce besoin de réforme pour lutter contre la "corruption" et les "privilèges" de juges non élus.
Le Mouvement pour la régénération nationale (Morena, gauche) au pouvoir depuis 2018 accuse la justice d'être au service d'une l'élite conservatrice.
L'opposition et les salariés du pouvoir judiciaire, mobilisés depuis des semaines, dénoncent une remise en cause de l'indépendance de la justice.
Des manifestants se sont réunis devant le bâtiment de la Cour suprême à Mexico, proche de la présidence, pour saluer l'arrivée des juges qui s'opposent à la réforme puis patientaient alors que débutaient les débats.
"Le pouvoir judiciaire doit être un contre-poids aux autres pouvoirs", a déclaré à l'AFPTV une manifestante, Maria de los Angeles Ortiz, 54 ans, clerc à la Cour suprême.
"La réforme ne doit pas passer" sinon "le Mexique s'enfoncera encore plus dans le narcotrafic, dans la pauvreté, dans la corruption des juges mis en place par Morena", a-t-elle ajouté.
- "Grave et sans précédent" -
Les États-Unis - où les juges dans les États fédérés sont élus et leurs mandats régulièrement remis en jeu, contrairement aux juges fédéraux - affirment que cette réforme menace leurs investissements privés au Mexique, qui ont besoin de stabilité juridique.
Avec la "politisation du système judiciaire", les investisseurs pourront se demander si "les désaccords entre les milieux d'affaires et le gouvernement seront résolus d'une manière impartiale", s'interroge la société britannique Capital Economics dans une note à ses clients.
Que va-t-il se passer si les membres de la Cour censurent le coeur de la réforme, et que la présidente refuse de se soumettre à leur décision?
"Nous serions devant une crise constitutionnelle grave sans précédent", a commenté à l'AFP Francisco Burgoa, professeur de droit constitutionnel à l'Université nationale autonome du Mexique (UNAM).
Cette crise "pourrait avoir des répercussions profondes sur la stabilité politique, économique et sociale du pays (...) affectant l'économie et les relations internationales du Mexique", estime-t-il.
Si le gouvernement respecte la décision de la Cour, ce serait une "preuve de bon sens et de prudence en faveur de la stabilité du pays", dit-il.
Dans le détail, la Cour va examiner mardi le projet d'arrêt préparé par l'un de ses onze membres, Juan Luis Gonzalez Alcantara. L'arrêt se fonde sur des recours déjà déposés par des partis d'opposition.
"Il n'existe pas de régime démocratique sans qu'il n'y ait une division des pouvoirs effective", souligne le projet d'arrêt, qui propose de déclarer inconstitutionnelle l'élection des juges et des magistrats locaux, sans toucher à l'élection des membres de la Cour suprême.
La semaine dernière, huit des onze juges de la Cour suprême, dont la présidente Norma Pina et l'auteur de l'arrêt José Luis Gonzalez, ont présenté leur démission, qui sera effective en août 2025, tout comme celles des magistrats qui refuseront de concourir aux élections.
La présidente Sheinbaum les a accusés de démissionner uniquement pour toucher leur retraite et les avantages afférents.
A.Goretti--IM