Au Pakistan, la campagne anti-polio entre violence et méfiance
Au Pakistan, dernier pays au monde avec l'Afghanistan où la poliomyélite reste endémique, les vaccinateurs doivent convaincre des parents réfractaires malgré la suspicion persistante et les attaques meurtrières.
Ismaïl Shah a vécu dans sa chair l'absence de vaccin. "Enfant, j'ai attrapé la polio et je me suis promis de l'éradiquer", raconte à l'AFP ce vaccinateur du canton de Panam Dehri dans la province montagneuse du Khyber Pakhtunkhwa, à la frontière avec l'Afghanistan.
Comme 400.000 volontaires et employés, durant une semaine, il va de maison en maison et répète inlassablement que le vaccin, - oral et en deux doses - est sûr.
L'objectif est de vacciner 45 millions d'enfants -car pour immuniser une zone infectée il faut que 90% des enfants y soient vaccinés, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Cette campagne est particulière car si l'Etat et les bailleurs internationaux en mènent depuis des années, en 2024, la situation urge.
Déjà 45 enfants ont été infectés depuis janvier. C'est beaucoup plus que les trois années précédentes, quand le Pakistan a cru en avoir presque fini avec la maladie après des pics à 20.000 cas annuels dans les années 1990.
Mais le chemin est loin d'être facile, raconte M. Shah, 35 ans: à son arrivée dans le village de 40.000 habitants, "plus de 1.000 personnes" refusaient le vaccin.
- CIA, vaccin au porc et chantage -
Malgré sa jambe traînante, il a entrepris de les convaincre une par une des dangers de cette maladie extrêmement contagieuse causée par un virus qui envahit le système nerveux et peut provoquer une paralysie irréversible.
"J'ai travaillé dur et aujourd'hui, il ne reste que 94 réfractaires'", assure-t-il.
"J'ai d'abord refusé le vaccin pour mes enfants", reconnaît Zulfiqar, 40 ans, assurant qu'un policier et un fonctionnaire du coin ont essayé de le convaincre en vain.
"C'est finalement mon imam qui m'a rassuré en m'expliquant qu'il avait fait vacciner ses enfants".
L'organisation d'une fausse campagne de vaccination par la CIA pour localiser le chef d'Al-Qaïda et cerveau du 11-Septembre Oussama ben Laden, tué en 2011 dans le nord du pays, est dans toutes les têtes.
Dans le village, raconte Ehsanullah, un habitant, "près de la moitié des parents disaient que le vaccin était un complot occidental".
Des religieux ultra-conservateurs ont aussi fait courir la rumeur que les vaccins rendaient infertiles, ou contenaient porc ou alcool, interdits par l'islam.
Faux, répond l'imam Tayyeb Qourechi: "des édits religieux ont été publiés et disent clairement qu'il n'y a aucun problème avec le vaccin, cela relève au contraire du devoir des parents".
Mais certains utilisent encore le vaccin comme monnaie d'échange avec un Etat qui peine à assurer les services publics, rapporte Ayesha Raza, porte-parole du programme gouvernemental anti-polio.
"Certaines communautés ont compris l'importance pour le gouvernement de l'éradication de la polio et elles réclament un meilleur accès à l'eau ou de nouvelles routes" pour faire vacciner leurs enfants, explique-t-elle à l'AFP.
"Même si certaines demandes sont justifiées, elles ne devraient pas peser sur la santé d'enfants".
- Attaques meurtrières -
Et la mission des vaccinateurs n'est pas sans risque: les soignants et les policiers qui les protègent sont régulièrement la cible d'attaques islamistes.
Vendredi, sept personnes, dont cinq fillettes, ont été tuées dans le sud-ouest du pays dans un attentat non revendiqué visant des policiers de la campagne anti-polio.
Trois jours plus tôt, deux policiers avaient été tués au Khyber Pakhtunkhwa, portant à au moins 16 le nombre de morts dans des campagnes anti-polio depuis janvier.
Ces attaques répétées avaient engendré une grève de policiers en septembre.
Pas de quoi empêcher Raheela Bibi de continuer son porte-à-porte.
"Ma famille dit que je suis en danger mais je réponds que nous sommes étroitement protégés, les policiers ne nous laissent jamais seuls", explique cette vaccinatrice de 28 ans.
"Entendre que nos collègues ont été attaqués nous attriste mais nous poursuivons notre travail pour éviter de futurs handicaps", martèle sa collègue Zainab Sultan.
"Il faut continuer à vacciner même s'il ne reste qu'un seul cas dans le pays", assène Mme Raza, reconnaissant un "excès de confiance" par le passé.
Le nouvel objectif est d'éradiquer la polio au Pakistan d'ici six mois, assure-t-elle, en "synchronisant les campagnes avec l'Afghanistan".
Car les deux pays partagent une frontière poreuse allègrement traversée par des migrants, parfois non immunisés, de plus en plus nombreux depuis le retour au pouvoir des talibans en 2021.
Au-delà des vaccins, il faudra aussi assurer l'aide alimentaire car les doses sont inefficaces chez les enfants souffrant de malnutrition.
Selon l'Unicef, 11 millions d'enfants pakistanais de moins de cinq ans souffrent de pauvreté alimentaire sévère.
C.Abatescianni--IM