Le yen chute à son plus bas niveau face au dollar depuis 20 ans
Le yen est tombé mercredi à son plus bas niveau depuis 20 ans face au dollar, plombé notamment par l'écart grandissant entre la politique monétaire japonaise toujours ultra-accommodante et le resserrement de celle de la Fed face à l'inflation américaine.
Un dollar s'échangeait pour 126,05 yens vers 10H15 GMT après avoir allégrement franchi quelques heures plus tôt la barre des 125,86 yens, une première depuis 2002.
Le yen décline par rapport au dollar depuis début 2021, au moment où les rendements des bons du Trésor américain ont commencé à fortement augmenter, sur fond du vif rebond de la croissance aux Etats-Unis et du début de l'accélération de l'inflation dans le pays.
Après avoir perdu 10% de sa valeur face au billet vert l'an dernier, le yen a encore lâché près de 9% depuis début 2022.
Sa dépréciation s'est encore accrue depuis quelques semaines, devant la perspective d'un resserrement monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed) encore plus agressif qu'initialement anticipé pour contrer une inflation au plus haut depuis 40 ans aux Etats-Unis.
A contre-courant des autres grandes banques centrales, la Banque du Japon (BoJ) maintient elle sa politique monétaire ultra-accommodante, estimant que les conditions macroéconomiques ne sont toujours pas réunies au Japon pour la resserrer.
Le gouverneur de la BoJ Haruhiko Kuroda avait d'ailleurs réaffirmé ce cap mercredi, ce qui semble avoir provoqué le nouvel accès de faiblesse du yen.
- Un effet "valeur refuge" inopérant -
L'économie japonaise évolue toujours en dents de scie après le choc initial provoqué par la pandémie de Covid en 2020, mais l'inflation y est beaucoup plus modérée qu'ailleurs (à peine 0,6% hors produits frais en février), même si celle-ci s'accélère aussi désormais, du fait de la flambée des prix de l'énergie.
Le yen est traditionnellement une "valeur refuge" en cas de fortes turbulences sur les marchés. Car en dépit de sa dette publique abyssale (plus de 260% du PIB selon le FMI), le Japon apparaît comme un pays aux reins solides: il est depuis trois décennies le premier créancier mondial, avec un patrimoine net à l'étranger qui pesait 3.600 milliards de dollars fin 2021, selon des données du ministère nippon des Finances.
Cependant, ce statut n'opère pas depuis le début du conflit russo-ukrainien car la flambée des prix de l'énergie creuse le déficit commercial du Japon, grand importateur d'hydrocarbures.
Ce qui enfonce aussi la devise nippone, car "les importateurs de pétrole doivent payer en dollar, et donc ils ont besoin d'acheter des dollars", rappelle auprès de l'AFP Masamichi Adachi, chef économiste chez UBS Securities au Japon.
Mais la BoJ continue d'estimer que la faiblesse du yen est globalement positive pour l'économie japonaise, en améliorant notamment la compétitivité des prix des exportations du pays et en dopant les bénéfices de ses entreprises quand elles convertissent en yens leurs revenus réalisés à l'étranger.
Ce dogme, auquel adhère aussi le gouvernement, a toutefois commencé à faire débat au Japon. Car la baisse brutale du yen conjuguée à l'envolée des prix de l'énergie fragilise les petites et moyennes entreprises centrées sur le marché national, ainsi que le pouvoir d'achat des ménages, dont la consommation est déjà en berne.
- Mouvements brusques "très problématiques" -
Les responsables politiques japonais multiplient les déclarations s'inquiétant de la baisse rapide de la monnaie nationale. "La stabilité des taux de change est importante et nous considérons que des mouvements brusques ne sont pas souhaitables", a répété mercredi le porte-parole du gouvernement Hirokazu Matsuno, après des propos similaires tenus la veille par le Premier ministre Fumio Kishida.
Le ministre japonais des Finances Shunichi Suzuki a enfoncé le clou en déclarant mercredi que de telles fluctuations étaient "très problématiques".
Cependant, une intervention directe de Tokyo avec ses réserves de change pour soutenir le yen semble difficile, selon des économistes.
Les autorités américaines "voient d'un bon œil l'appréciation du dollar, parce que leur problème c'est l'inflation élevée", souligne M. Adachi. Ce qui exclut une intervention américano-japonaise coordonnée, qui aurait un impact plus important qu'une action unilatérale de Tokyo.
Par ailleurs, "ce serait étrange" si le gouvernement japonais intervenait en achetant du yen pendant que la BoJ garde sa politique ultra-accommodante inchangée, relevait aussi Tohru Sasaki de JPMorgan Chase, interrogé par l'AFP.
J.Romagnoli--IM