Revers pour la Russie à l'ONU, l'Ukraine poursuit les évacuations de civils dans l'est
La Russie, accusée de "crimes de guerre" en Ukraine, a subi jeudi un revers à l'ONU où elle a été exclue de la Commission des droits de l'homme, tandis que Kiev exhortait les civils à fuir les régions de l'est, menacées par une offensive russe.
L'assemblée générale des Nations unies, qui rassemble tous les pays membres et au sein de laquelle il n'y a pas de droit de veto, a adopté à une assez large majorité la suspension de la Russie du Conseil des droits de l'homme, la deuxième dans l'histoire de l'ONU après l'éviction de la Libye en 2011.
Le vote, avec 93 voix pour, a toutefois été moins massif qu'au moment de la condamnation par 141 pays début mars de l'invasion déclenchée par Moscou.
Cette initiative fait suite à la vague d'indignation après la découverte de dizaines de morts, portant des vêtements civils et pour certains les mains attachées dans le dos, dans les zones dont s'est retirée l'armée russe et notamment dans la localité de Boutcha, près de Kiev.
L'Ukraine et ses soutiens accusent les troupes russes qui ont quitté le nord du territoire ukrainien et ainsi cessé de chercher à prendre la capitale, d'être responsables de ces "crimes de guerre".
La Russie dément toute exaction, dénonçant une "provocation" ukrainienne. Elle a averti après le vote de l'ONU, qualifié d'"illégal", qu'elle comptait "continuer de défendre ses intérêts par tous les moyens légaux".
Le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba a en revanche exprimé dans un tweet la "reconnaissance" de son pays : "Les criminels de guerre n’ont pas leur place dans les organes de l’ONU visant à protéger les droits de l’homme", a-t-il écrit.
Son homologue américain Antony Blinken a assuré que la Russie continuait à commettre des "atrocités" en Ukraine "en ce moment même".
Le secrétaire général adjoint de l'ONU pour les Affaires humanitaires, Martin Griffiths, s'est pour sa part rendu à Boutcha, assurant aux responsables locaux que "le monde est profondément choqué" et que "la prochaine étape" consistera en "une enquête".
- Dernière chance -
Sur le terrain, l'est de l'Ukraine fait désormais figure de principal objectif des forces russes, qui ont subi "des pertes militaires importantes", a reconnu jeudi le porte-parole du Kremlin, évoquant "une immense tragédie"
Craignant une offensive contre ces régions orientales, les autorités ukrainiennes ont à nouveau appelé la population civile à les quitter.
"Les prochains jours sont peut-être la dernière chance pour partir. Toutes les villes libres de la région de Lougansk sont sous le feu ennemi" et les forces russes sont" en train de couper toutes les voies possibles de sortie", a averti sur Facebook son gouverneur, Serguiï Gaïdaï.
"Chaque jour, c'est de pire en pire. Ça tombe de partout. Ce n'est plus possible", raconte Denis, un quadragénaire pâle comme un linge, le visage émacié, à qui on donnerait la soixantaine. "On trouve encore un peu de pain le matin à la boutique. Des volontaires et l'armée nous donnent des vivres".
"Regardez les impacts de roquettes, les appartements détruits autour de vous", montre du menton une grand-mère, serrant son sac à main contre la poitrine. "Cela fait plus d'un mois que l'on vit dans la cave. Je n'ai plus de gaz, d'électricité ni d'eau. Impossible de rester chez moi".
Un "grand nombre" d'évacués sont déjà arrivés à Dnipro, a annoncé jeudi le maire de cette ville industrielle d'un million d'habitants sur le Dniepr, le fleuve qui marque la limite des régions orientales du pays. Il les a d'ailleurs exhortés à "partir, pour (ceux) qui le peuvent", dans les régions encore plus à l'ouest "car c'est plus sûr là-bas".
Le gouverneur Gaïdaï a assuré que les responsables ukrainiens ne permettraient pas qu'il y ait dans l'Est un "deuxième Marioupol", cette cité portuaire du sud-est assiégée et dévastée par l'armée russe depuis fin février et où se terrent toujours quelque 100.000 habitants.
- Des armes "maintenant" -
Et pour se préparer à contrer l'offensive attendue dans le Donbass, Kiev réclame l'aide des Occidentaux.
Le ministre ukrainien des Affaires étrangères s'est rendu à Bruxelles pour demander des livraisons immédiates d'armes à ses homologues de l'Alliance atlantique.
"Soit vous nous aidez maintenant, et je parle de jours, pas de semaines, soit votre aide arrivera trop tard. Et beaucoup de gens vont mourir, beaucoup de civils vont perdre leur maison, beaucoup de villages vont être détruits si cette aide arrive trop tard", a martelé Dmytro Kouleba devant la presse à l'issue de la réunion.
Et de mettre en garde : "au moment où nous parlons, la bataille pour le Donbass est en cours". "Cela va malheureusement s'aggraver. La bataille pour le Donbass vous rappellera" la "Deuxième Guerre mondiale", avec "des milliers de chars, de véhicules blindés, des avions, de l'artillerie".
Le secrétaire général de l'Alliance, Jens Stoltenberg, a de son côté assuré que "les alliés étaient conscients de l'urgence de fournir plus de soutien à l'Ukraine". Il a évoqué un "soutien significatif", tout en estimant "préférable de ne pas se montrer trop précis sur les armements qui seront fournis".
Le volet diplomatique de la crise ne laisse transparaître aucun signe de progrès, au contraire. La Russie a affirmé jeudi que l'Ukraine était revenue sur certaines des propositions qu'elle avait faites au cours de pourparlers fin mars à Istanbul et que la Russie avait dit accueillir positivement.
Kiev a immédiatement répliqué, en appelant Moscou à "réduire son degré d'hostilité" dans les négociations. Et M. Kouleba a même accusé son homologue russe Sergueï Lavrov d'être "complice des crimes" commis par l'armée russe en les justifiant.
- Etouffer pour des années -
Autre volet du soutien occidental à l'Ukraine, les sanctions économiques, encore renforcées dans la foulée des massacres de Boutcha par Washington, Londres et le G7, qui a interdit jeudi tout nouvel investissement dans des secteurs-clés.
Par un vote au Congrès, les Etats-Unis ont officiellement révoqué le même jour le statut commercial de la Russie et du Bélarus, ouvrant la voie à des droits de douane punitifs.
Washington a voulu une nouvelle série de sanctions "dévastatrices", interdisant tout investissement en Russie et visant les grandes banques... ainsi que les deux filles du président russe Vladimir Poutine.
Les Européens devraient leur emboîter le pas, mais restent toujours divisés sur des sanctions dans le domaine énergétique, au grand dam du président ukrainien Volodymyr Zelensky qui a fustigé mercredi l'"indécision" européenne.
Kiev a même directement accusé jeudi la Hongrie de saper "l'unité de l'UE" et d'"aider Poutine à continuer son agression contre l'Ukraine", en se disant prête à acheter du gaz russe en roubles, à rebours des autres Etats de l'Union européenne.
L'UE examine en effet actuellement un cinquième ensemble de sanctions qui devrait être entériné lundi et comporte pour la première fois des mesures dans le secteur énergétique, avec un embargo sur les achats de charbon à la Russie.
Et malgré les divergences entre ses Etats membres plus ou moins dépendants des livraisons russes, le président du Conseil européen Charles Michel et le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, ont tous deux estimé que des décisions sur le gaz et le pétrole allaient devoir intervenir "tôt ou tard".
Le Parlement européen a quant à lui adopté jeudi à une écrasante majorité une résolution réclamant un embargo "total et immédiat" sur les importations "de pétrole, de charbon de combustible nucléaire et de gaz" russes.
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a en tout cas annoncé qu'elle se rendrait vendredi à Kiev pour exprimer son "soutien indéfectible" à l'Ukraine dans son "combat courageux" contre l'invasion russe.
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K.Costa--IM