Ukraine: Moscou, dans le viseur occidental, se concentre sur l'Est
Une nouvelle salve occidentale contre Moscou est attendue mercredi après les accusations de crimes de guerre contre la Russie en Ukraine, où une offensive russe majeure est attendue dans l'est du pays, désormais cible prioritaire du Kremlin.
Après plusieurs trains de mesures en réponse à l'invasion de l'Ukraine par Moscou, les Etats-Unis doivent adopter dans la journée, en coordination avec l'Union européenne et le G7, de nouvelles sanctions contre la Russie visant notamment à interdire "tout nouvel investissement" dans ce pays, selon une source proche du dossier.
La situation en Ukraine sera également au menu de la réunion mercredi et jeudi à Bruxelles des ministres des Affaires étrangères des pays de l'Otan, qui doivent notamment discuter avec leur homologue ukrainien Dmytro Kouleba des besoins des forces ukrainiennes.
"Je ne veux pas donner de détails, mais la fourniture d'armes anti-chars et de systèmes de défense anti-aériens est examinée", a indiqué le secrétaire général de l'Alliance Jens Stoltenberg.
L'Otan n'intervient militairement que pour défendre ses membres lorsque l'un d'eux est attaqué ou sous mandat de l'ONU. L'Ukraine n'en est pas membre, et c'est notamment une éventuelle adhésion que le président russe Vladimir Poutine a mis en avant pour justifier l'invasion de cette ancienne république soviétique. Mais rien n'empêche les trente pays de l'Alliance de lui apporter une aide.
Ces nouvelles démarches contre Moscou interviennent au lendemain d'un nouvel appel passionné du président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a exhorté lors d'une réunion du Conseil de sécurité l'ONU à agir "immédiatement" contre la Russie au regard de ses "crimes de guerre" commis selon lui en Ukraine.
Le président ukrainien a notamment fait projeter devant les diplomates des images dramatiques montrant de nombreux cadavres, selon Kiev des victimes civiles d'exactions, filmées dans des localités récemment évacuées par l'armée russe, qui effectue un regroupement vers les zones de l'Est du pays.
- "Toujours plus horrible" -
Le pape François a fustigé mercredi "une cruauté toujours plus horrible (y compris) contre les civils, des femmes et des enfants".
Les autorités ukrainiennes affirment de leur côté que Boutcha "n'est pas le pire", redoutant la découverte d'autres massacres.
Moscou rejette toute accusation d'exactions, accusant les autorités ukrainiennes de préparer des "mises en scène" de civils tués dans plusieurs villes pour faire condamner le Kremlin.
Mais les découvertes de victimes, notamment dans la localité de Boutcha, près de Kiev, ont créé une onde de choc et conduit l'Union européenne et Washington à intensifier leur pression économique et diplomatique sur Moscou, déjà visé par un épais mille-feuilles de sanctions décidées à travers le monde.
Sur le terrain, la nouvelle stratégie de Moscou consistant à concentrer les efforts sur le Donbass, région en partie tenue depuis 2014 par des séparatistes prorusses, continue à se mettre en place.
"Les troupes russes (...) vont se réarmer, recevoir des renforts en effectifs, car elles ont subi beaucoup de pertes, et se réapprovisionner pour lancer une nouvelle offensive très concentrée dans la région du Donbass", a averti mardi M. Stoltenberg, évoquant "une phase cruciale de la guerre".
Le gouverneur de la région de Lougansk, Serguiï Gaïdaï, a appelé les habitants à quitter la région: "Evacuez tant que c’est sûr (…) Tant qu’il y a des bus et trains, profitez de cette possibilité. Hier les Russes ont endommagé les communications ferroviaires dans la région de Donetsk. Les réparations ont duré plusieurs heures, des trains ont été retardés (…) c’est encore un signal du danger. Mettez-vous et vos proches en sécurité".
Le long d'une route reliant la ville d'Izioum, récemment prise par les forces russes, aux villes jumelles de Sloviansk et Kramatorsk, capitale du Donbass contrôlé par Kiev, les forces ukrainiennes se préparent, ont constaté des journalistes de l'AFP.
- "Surprises" -
Tranchées creusées au bulldozer, pièces d'artillerie et autres engins blindés plus ou moins enterrés parsèment les environs. La forêt, où fleurissent de doux parterres de clochettes mauves annonciatrices du printemps, est truffée d'abris et autres matériels camouflés promettant de bien plus sinistres averses de feu.
La route fortifiée est encombrée d'obstacles antichars. Alors que l'hiver est terminé, et que la terre noire détrempée limite la progression des chars dans les cultures voisines, il faut tenir l'asphalte.
"Les Russes s'activent, nous savons qu'ils se préparent à attaquer", explique un officier supérieur, évoquant une multiplication des vols d'hélicoptères russes au-dessus du front.
"Nous sommes prêts. (...) Nous leur avons préparé quelques surprises", commente ce robuste vétéran de la guerre de 2014, blessé deux fois, qui a "failli perdre sa jambe droite" et marche désormais comme un gaillard.
Krasnopillia, avec ses maisons campagnardes à enclos et fenêtres à traverses de bois, est truffé de militaires, membres de la 95e Brigade aéromobile, une unité d'élite avec l'aigle en emblème. Craignent-ils l'ouragan russe à venir? "Vous connaissez l'histoire de David et Goliath...", répond l'officier.
Plus loin, c'est la logistique ukrainienne qui est également visée, comme ce dépôt de pétrole à Novomoskovsk, proche de Dnipro, bombardé et détruit par l'armée russe dans la nuit de mardi à mercredi, sans faire de victimes, selon les autorités locales.
Le ministère russe de la défense a de son côté indiqué que les forces russes ont détruit avec des missiles cinq dépôts de carburants à Novomoskovsk, Radekhov, Kazatine, Prossianaïa et Mykolaïv. Ces dépôts fournissaient les forces ukrainiennes dans les régions de Kharkiv et Mykolaïv, ainsi que dans le Donbass.
Pendant la nuit de mardi à mercredi, les frappes aériennes russes ont visé 24 sites militaires ukrainiens, parmi lesquels cinq dépôts de matériel technique, selon un communiqué du ministère.
- Choix tragiques -
Les forces russes cherchent également toujours à consolider leurs positions sur la bande côtière le long de la mer d'Azov, dans le sud de l'Ukraine, pour relier les régions du Donbass à la péninsule de Crimée, annexée par Moscou en 2014.
Les combats se concentrent notamment toujours sur la grande ville portuaire de Marioupol, dont le maire qualifiait mardi à l'AFP la situation comme ayant "dépassé le stade de la catastrophe humanitaire".
L'armée russe a affirmé mardi avoir abattu deux hélicoptères ukrainiens cherchant à évacuer des chefs d'un bataillon nationaliste défendant le port assiégé, appelant une nouvelle fois les défenseurs à déposer les armes.
Quelque 120.000 habitants sont toujours coincés sur place, selon le maire, et les évacués, après un éprouvant périple de 200 kilomètres, se retrouvent dans des centres d'accueil à Zaporojie, dans les terres.
Angela Berg, une énergique femme de 55 ans aux cheveux courts, a tout laissé dans l'enfer de Marioupol, y compris sa mère, trop âgée pour entreprendre ce périple.
"Un homme armé d'une mitraillette nous a forcés à nous coucher au sol devant notre immeuble de 12 étages, sur des bouts de verre brisé. Puis ils ont commencé à tirer dessus avec des chars, l'immeuble a pris feu. Et l'homme à la mitraillette tirait sur les gens qui tentaient de sortir", raconte-t-elle à l'AFP.
"Ils ne nous ont rien laissé récupérer jusqu'à ce que tout ait brûlé, ni affaires, ni documents". Et sa voix se brise à l'évocation de sa mère et de sa belle-soeur invalide qu'elle a dû abandonner pour sauver le reste de sa famille, dont sa petite-fille de 3 mois, malade: "C'est la plus pénible décision que j'aie jamais prise. J'ai dû choisir entre ma mère et mes petits-enfants".
V.Agnellini--IM