Au Mexique, huitième journaliste tué en 2022, des dizaines vivent la peur au ventre
Un huitième journaliste a été assassiné mardi au Mexique depuis le début de l'année et des dizaines de reporters et photographes vivent sous protection, la peur au ventre après avoir été eux-mêmes menacés ou vu mourir un collègue, un ami.
Tué à Zitacuaro à 150 km à l'ouest de Mexico, Armando Linares, directeur du site d'information Monitor Michoacan, avait lui-même annoncé le 31 janvier l'assassinat d'un de ses collaborateurs.
"L'équipe du Monitor Michoacan a souffert d'une série de menaces de mort", avait-il déclaré dans la vidéo où il annonçait la mort de Roberto Toledo, estimant que ces menaces avaient été mises à exécution.
"Nous savons d'où vient tout cela", avait-il ajouté au bord des larmes. "Nous allons continuer de signaler la corruption et des politiciens corrompus".
"Nous ne sommes pas armés. Notre seule défense, c'est un stylo, un cahier", poursuivait l'homme à la casquette vissée sur le crâne, qui ne semblait pas être lui-même protégé au moment de son assassinat.
Quelque 400 journalistes menacés bénéficient au Mexique d'"un mécanisme de protection" valable également pour les défenseurs des droits de l'homme (384 d'après des chiffres du Sénat début 2020).
L'une de ses journalistes, Maria Martinez, 53 ans, avait reçu des menaces pour ses enquêtes sur la corruption et des liens présumés entre des fonctionnaires et des narco-trafiquants: "tu vas mourir, chienne!".
"Je sais que ma vie est en danger tous les jours et c'est terrible de vivre avec la menace, avec la peur de sortir sans revenir", confie la directrice du site d'information Pendulo Informativo à Aguascalientes (Nord-Ouest).
Sous protection policière, Mme Martinez doit avant chaque reportage partager son itinéraire avec son escorte.
"Sans eux je ne serais plus en vie", dit-elle à propos des deux militaires à la retraite des forces spéciales qui la suivent en civil.
Maria demande que les autorités l'appellent toutes les deux heures à travers un géo-localisateur, qui fonctionne comme un "bouton d'alarme".
- "Quand une voiture vient derrière moi..." -
A Toluca, à côté de Mexico (centre), la journaliste indépendante Maria Teresa Montano travaille également avec des escortes, après avoir été séquestrée pendant quelques heures en 2021 parce qu'elle avait révélé une affaire de corruption.
"Ma vie privée est limitée. Il faut faire très attention", raconte la journaliste de 53 ans.
A Tijuana (Nord-Ouest), la peur de Jesus Aguilar n'a fait qu'augmenter le 17 janvier quand des inconnus ont assassiné son collègue photographe Margarito Martinez, puis une autre journaliste, Lourdes Maldonado, quelques jours plus tard.
"Quand une voiture vient derrière moi lentement, je sens qu'elle va s'arrêter et tirer", raconte-t-il.
A Zacatecas, ce journaliste sans protection confie qu'il vit dans la peur, surtout depuis l'assassinat le 4 mars de son collègue et ami, Juan Carlos Muniz.
"Je vois mon fils une fois par semaine, en cachette. Je ne veux pas l'exposer. Bien sûr qu'il y a de la peur. Cette peur, tu en fais un protocole de sécurité", dit ce reporter qui exerce son métier dans un Etat où s'est déplacée en 2020 la violence entre les deux principaux cartels du pays, Sinaloa et Jalisco.
Il y a quelques jours, le Parlement européen avait demandé au gouvernement du Mexique de prendre des mesures "afin que les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes puissent poursuivre leurs activités sans crainte de représailles et sans restrictions".
Dans une résolution largement adoptée, les euro-députés s'étaient aussi inquiété du fait que "le président López Obrador a fréquemment tenu des propos populistes lors des conférences de presse quotidiennes pour dénigrer et intimider les journalistes, les propriétaires de médias et les activistes indépendants".
"Ici on ne réprime personne, on respecte la liberté d'expression et le travail des journalistes", avait répondu la présidence dans un communiqué très virulent dénonçant l'ingérence des euro-députés ("Le Mexique a cessé d'être une terre de conquête").
A Aguascalientes, Maria Martinez termine sa journée de travail avec l'interview de l'ex-épouse d'un narco-traficant.
"Ma famille m'a demandé d'arrêter le journalisme, mais je suis une femme de convictions", affirme-t-elle. Quelques jours avant sa rencontre avec l'AFP, Maria Martinez a souffert d'un pré-infarctus, qu'elle attribue à sa situation professionnelle.
S.Carlevaro--IM