Sous pression croissante, McDo et d'autres grands groupes américains se retirent de Russie
McDonald's et quelques autres multinationales américaines pointées du doigt pour ne pas avoir encore coupé les ponts avec la Russie ont finalement cédé à la pression publique et suspendu leurs opérations dans le pays.
Comme PepsiCo et Coca-Cola, le géant des fast-food faisait depuis quelques jours l'objet d'un appel au boycott sur les réseaux sociaux, tandis que des investisseurs commençaient à poser des questions.
La chaîne américaine a annoncé mardi sa décision de fermer temporairement ses 850 restaurants en Russie et de suspendre toutes ses opérations dans le pays.
"La situation est extraordinairement difficile pour une marque mondiale comme la nôtre et il y a de nombreuses considérations à prendre en compte", a souligné le patron de McDonald's, Chris Kempczinski.
Le groupe compte dans le pays 62.000 employés, qu'il va continuer de payer, et de multiples fournisseurs. La Russie représente 9% de son chiffre d'affaires et 3% de son bénéfice opérationnel.
"Dans le même temps, respecter nos valeurs signifie que nous ne pouvons pas ignorer les souffrances humaines inutiles qui se déroulent en Ukraine", a ajouté M. Kempczinski.
Au total, plus de 280 grandes entreprises ayant une présence importante en Russie ont annoncé leur retrait, selon un inventaire tenu à jour par une équipe de l'université de Yale. Une trentaine de multinationales restent sur la liste des entreprises encore exposées au pays.
Son initiateur, le professeur de gestion Jeffrey Sonnenfeld, a plusieurs fois mis en avant le rôle qu'avait eu dans la chute de l'Apartheid le départ volontaire de 200 grands groupes de l'Afrique du Sud dans les années 1980.
- "Choisir un camp" -
Le responsable du fonds de pension de l’État de New York, qui avait appelé la semaine dernière les patrons de dix entreprises encore présentes en Russie à se demander si le risque en valait bien la peine, s'est félicité mardi des dernières annonces: quatre d'entre elles - McDonald's, Estée Lauder, Fortinet et Trimble -, y ont suspendu leurs opérations.
Six autres, dont PepsiCo, Mondelez et Coty, sont pour l'instant restés silencieuses.
Également pointées du doigt, les chaînes américaines Starbucks, KFC et Pizza Hut sont pour leur part gérées entièrement ou presque en Russie par des propriétaires indépendants sous franchise ou licence.
Yum! Brands, la maison mère de KFC et Pizza Hut, avait tout de même annoncé lundi soir la suspension de tous ses investissements dans le pays et s'était engagé, comme Starbucks, à reverser tous les profits tirés de ses activités en Russie à des opérations humanitaires.
Certains groupes peuvent avoir des raisons légitimes de rester, remarquent plusieurs experts en éthique et communication interrogés par l'AFP, en citant en premier lieu la sécurité des employés.
Certaines entreprises peuvent être hésitantes car elles pensent pouvoir jouer un rôle d'intermédiaire entre les parties ou parce qu'elles fabriquent dans le pays des produits essentiels comme des ingrédients pharmaceutiques, remarque aussi Tim Fort, professeur en éthique des affaires à l'Université d'Indiana.
Toutefois, ajoute-t-il, "c'est sans doute le bon moment pour choisir un camp et cela ne me semble pas très difficile de le faire".
- "Se demander ce qui se passe vraiment" -
La décision d'une seule entreprise "ne va pas faire pencher la balance, mais il y a un effet d'accumulation", avance M. Fort.
Et une société aussi connue que McDonald's peut avoir une réelle influence en Russie au moment où la population n'a presque plus accès qu'au discours officiel, qui minimise l'ampleur du conflit.
"Les Russes pourront survivre sans Big Mac, mais ils vont surtout se demander pourquoi McDonald's ferme, se demander ce qui se passe vraiment", dit l'expert.
Pour Richard Painter, professeur à l'Université du Minnesota et ancien juriste en charge de l'éthique à la Maison Blanche, les entreprises doivent penser au message à faire passer, à savoir que "la Russie ne peut pas engager une guerre en Ukraine tout en participant à l'économie mondiale".
Avec les sanctions économiques sévères imposées avec un large consensus par les gouvernements occidentaux, "c'est le meilleur moyen de traiter avec la Russie plutôt que de l'affronter militairement"," affirme-t-il.
Pour Mark Hass, spécialiste de la communication à l'Université de l’État de l'Arizona, les intérêts économiques des entreprises qui ont choisi jusqu'à présent de ne pas quitter la Russie "dépassent encore sans doute les risques pour leur réputation".
Certains groupes font peut-être le pari que les critiques vont pleuvoir à court terme, avant de retomber.
Mais, estime M. Hass, "si les réseaux sociaux commencent à vous identifier comme l'entreprise prête à faire du business avec un agresseur autocrate qui tue des milliers de personnes en Ukraine, alors le problème prend une autre ampleur et peut affecter votre activité bien au-delà de la Russie".
I.Barone--IM