Dans la périphérie de Kiev, la crainte des missiles russes
Avant l'invasion russe, Bila Tserkva était une ville de banlieue idéalement située pour les gens travaillant à Kiev. Désormais, cette commune de 200.000 habitants a surtout le triste privilège d'être sur le trajet des missiles envoyés par la Russie sur la capitale ukrainienne depuis la Mer Noire.
Pour la deuxième fois en moins d'une heure, les sirènes d'alerte retentissent dans cette ville située à environ 75 km au sud-ouest de Kiev.
"Ceci est un avertissement: coupez le gaz et l'électricité, prenez votre trousse de premiers secours, des provisions et de l'eau et réfugiez-vous dans l'abri le plus proche", lance en ukrainien une petite voix dans les haut-parleurs d'un supermarché.
"Les étagères sont vides, ils bombardent, les missiles tombent du ciel", maugrée Ioulia Ivachtchouk, une mère de deux enfants, en sortant les mains vides du magasin.
"Il n'y a plus de lait sans lactose pour mon cadet. Que peut-il encore arriver? Je ne suis pas sûre de vouloir savoir", soupire cette femme de 45 ans.
Tirés depuis la Mer Noire, certains missiles se sont abattus sur l'aérodrome et des usines de la ville depuis le début de l'assaut de la Russie sur l'Ukraine le 24 février.
Un lotissement de nouvelles maisons cossues en cours de construction près du Ros, un affluent du fleuve Dniepr, a aussi été pulvérisé au cours du week-end.
Ici, personne ne comprend pourquoi cela est arrivé, ni pourquoi la Russie a envahi l'Ukraine.
"Poutine est devenu fou et fait des folies", lance Serguiï Zabojny, un autre client du supermarché. "Il se comporte comme un déséquilibré et les gens ont peur qu'il appuie sur le bouton nucléaire", ajoute cet entrepreneur de 63 ans.
Kiev et ses trois millions d'habitants, sont coupés du reste du pays sur trois flancs: les combats font rage dans ses faubourgs du nord et de l'ouest, et les routes vers l'est sont bloquées par des chars russes et des champs de mine.
- Échappatoire -
Le sud représente donc la seule échappatoire ainsi que la seule voie d'approvisionnement en nourriture et en carburant.
A Bila Tserkva, on craint maintenant que les chars russes positionnés sur le flanc ouest ne fondent rapidement sur la ville.
"Tout le monde est inquiet. On entend les sirènes plusieurs fois par jour", témoigne Andriï Zalezniak.
"Ils nous ont déjà touchés une dizaine de fois. C'est dur de compter toutes les explosions. On a l'impression que tous les jours se confondent en un seul", poursuit ce charpentier de 39 ans, tout en aidant à déblayer les décombres de l'une des trois maisons détruites par l'attaque du week-end.
Dans le ciel, les avions de combat russes se font régulièrement entendre. Dans la rue, les gens se montrent les images des missiles de croisière volant vers Kiev, à quelques centaines de mètres au dessus du sol seulement, qu'ils ont filmées avec leurs téléphones.
Selon Andriï Zalezniak, la famille de six personnes qui vivait dans l'une de ces maisons a eu la chance de ne pas être là la nuit de la frappe aérienne.
"Ils auraient pu être tous tués", souffle Bodgan Remmeny, au milieu des restes carbonisés de l'abri de jardin de la maison.
Aujourd'hui, Bila Tserkva ressemble désormais à une ville sur le point d'entrer en guerre. Dans son principal supermarché, encore relativement bien achalandé, le rayon des produits laitiers est vide et celui de l'alcool est fermé.
Les ventes d'alcool ont en effet été interdites à travers le pays quand le gouvernement a décidé d'autoriser, dans les premiers jours de la guerre, chaque citoyen à prendre les armes, pour monter une nouvelle armée de volontaires.
Les files d'attente s'allongent le long des épiceries et des agences bancaires.
Contrairement à Kiev, Bila Tserkva n'est pas bardée de checkpoints avec leurs sacs de sable empilés et leurs hommes équipés de fusils d'assaut qui dirigent la circulation aux carrefours.
A ce stade, ce n'est ni la paix, ni vraiment la guerre: comme à Kiev avant que les Russes ne s'emparent de ses faubourgs occidentaux, certains habitants font preuve d'optimisme et de bravade.
"Si les Russes viennent jusqu'ici, ils n'iront pas plus loin", lance Bogdan Martynenko, un étudiant, tout en fumant avec des amis sur un parking.
"Nous avons des unités de défense territoriale, notre police, nos hommes. Nous nous connaissons tous, ils n'oseront pas", dit-il, sourire aux lèvres.
E.Mancini--IM