Couac électoral en Namibie, le vote prolongé face aux immenses files d'attente
Les élections présentées comme les plus disputées de l'histoire de ma Namibie tournent au désastre organisationnel: le vote a été indéfiniment prolongé par la commission électorale face aux immenses files d'électeurs attendant encore après la fermeture des bureaux à 21H00 locales (19H00 GMT).
Est-ce l'indication d'une participation élevée qui serait un mauvais signal pour la Swapo, le parti au pouvoir depuis l'indépendance en 1990, plus défié que jamais? Sa candidate Netumbo Nandi-Ndaitwah, en position de devenir la première femme présidente de ce pays d'Afrique australe, pourrait être contrainte à un second tour inédit.
Dans le bureau de vote de la mairie de la capitale, Windhoek, comme dans d'innombrables autres dans le pays, les opérations ont cessé faute de bulletins. Après une heure d'arrêt, des applaudissements pour saluer l'arrivée des blocs de papiers ont réveillé les électeurs somnolant assis, à 23H30.
"C'est navrant d'attendre pendant des heures et des heures et qu'il y ait des défaillances comme une pénurie de bulletins. Les électeurs se sont déplacés, mais la commission électorale nous a trahis", se désole Reagan Cooper, cultivateur de 43 ans parmi la centaine de naufragés de la nuit devant l'hôtel de ville.
Armés de patience, de chaises pliantes et de parapluies pour venir à bout de files progressant à un rythme de pachyderme, les Namibiens ont piétiné parfois jusqu'à douze heures, sous un soleil de plomb avant de pouvoir voter.
Les tablettes servant à vérifier les identités au moyen des empreintes digitales ont connu des incidents dans plusieurs bureaux: mises à jour intempestive, surchauffe ou batteries à plat, ont expliqué leurs responsables à l'AFP.
Le Parti des patriotes indépendants (IPC), principale formation de l'opposition, a accusé la commission électorale de "tenter délibérément de dissuader les électeurs de voter", par la voix de sa secrétaire générale Christine Aochamus.
- Longue nuit -
Face aux critiques de tous les partis - Swapo comprise -, la commission a décidé d'une prolongation du vote "sans durée spécifiée", a indiqué son responsable pour la région de Windhoek Rakondjerua Kavari.
La candidate de la Swapo Netumbo Nandi-Ndaitwah ("NNN"), figure à 72 ans de la lutte pour la libération, avait appelé les 1,5 million d'électeurs inscrits à "voter en nombre" au moment de glisser son bulletin dès l'ouverture.
"NNN" affronte la concurrence de l'ex-dentiste et avocat Panduleni Itula, 67 ans, qui a fondé en 2020 sa propre formation, le Parti des patriotes indépendants. Sans formation sur laquelle s'appuyer à l'époque, il avait réuni 29,4% des suffrages en 2019.
Chômage massif, inégalités persistantes et renouvellement des générations ont érodé le soutien à la Swapo sur ce territoire désertique d'Afrique australe qui figure parmi les premiers fournisseurs mondiaux d'uranium.
"Mon père était un héros de la libération. Je n'abandonnerai pas la Swapo, c'est ma famille. Mais je veux qu'elle soit mise au défi pour améliorer les politiques publiques", témoigne Marvyn Pescha, un auto-entrepreneur de 50 ans, habitant de Katutura, le principal township de Windhoek. "Certains dirigeants opportunistes ont terni la réputation du parti en l'utilisant à des fins d'enrichissement personnel", regrette-t-il.
Un second tour à la présidentielle est pour la première fois une "option assez réaliste", selon Henning Melber, chercheur à l'Institut nordique de l'Afrique d'Uppsala (Suède).
Après avoir immortalisé sa première expérience d'électrice en photographiant son pouce bleui par l'encre indélébile, Sophia Varela, 24 ans, confie qu'elle "espère du changement" et du "travail pour les jeunes", si nombreux dans ce pays où plus de 60% de la population a moins de 30 ans.
A l'issue de trois décennies de règne de la Swapo, mouvement d'inspiration marxiste du temps de la lutte contre l'occupation de l'Afrique du sud de l'apartheid, la Namibie demeure selon la Banque mondiale, le deuxième pays le plus inégalitaire de la planète, après justement l'Afrique du Sud.
"L'abondante activité minière ne se traduit pas vraiment" par "des opportunités d'emploi", observe l'analyste indépendante Marisa Lourenço. En 2018, année des derniers chiffres diffusés, 46% des 18-34 ans étaient sans emploi.
La Swapo, qui a combattu pour l'indépendance du pays, peut craindre le même sort que ses partis de libération frères dans la région, affaibli comme l'ANC en Afrique du Sud ou balayé comme le BDP au Botswana.
S.Rovigatti--IM