Dans l'ouest de l'Ukraine, une jeunesse en quête d'exutoire
Au "People Place", un bar branché de Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine, des jeunes sirotent un cocktail en terrasse ou se prélassent au son d'un DJ au sous-sol, tentés d'oublier la guerre le temps d'un samedi soir.
Cette ville située à 70 kilomètres de la frontière polonaise a été moins exposée aux bombes russes que d'autres, et ses habitants, de longue date ou récemment réfugiés, n'ont pas entendu de sirènes d'alerte depuis une dizaine de jours.
Goûtant ce répit et à la faveur de températures quasi estivales, les jeunes sont sortis nombreux ce week-end dans ses bars et restaurants, à la recherche d'un semblant de "normalité".
Attablé au "People Place" avec un verre de Spritz, Bohdan Charhoulenk, 25 ans, savoure le "calme" de Lviv, où il est arrivé il y a un mois après avoir vécu l'enfer des bombardements à Mikolaïv, près de la ligne de front, dans le Sud.
"C'est dur de vivre une vie normale quand on sait que nos amis sont en train de se battre contre l'agresseur russe", dit-il en tirant nerveusement sur une cigarette. "Mais c'est important de faire la fête. Ca permet de vider son esprit."
Depuis son arrivée, il a retrouvé des connaissances venues de tout le pays et a passé plusieurs soirées avec eux, dans des maisons ou des appartements puisque la ville est toujours sous couvre-feu à partir de 23H00. "Une fois, j'ai même dansé sur de la techno..."
Assises un peu plus loin autour d'un bouquet de tulipes, Sofia Romanouik et Marta Iavorska, 24 ans, n'en sont pas encore là. La première, soigneusement maquillée et élégamment vêtue, raconte ne pas s'être lavée les cheveux pendant des jours au début de l'offensive russe, fin février, tellement elle était choquée.
"Les psychologues disent que les 21 premiers jours de guerre sont très durs à vivre et qu'après, on s'habitue", dit-elle, en expliquant être désormais à nouveau prête à profiter "des bonnes choses de la vie: un verre, un bon repas", mais pas encore à faire la fête.
- "Je n'y arrive pas" -
Tout juste rentrée de Varsovie, son amie Marta ajoute qu'en mars, voir des Polonais boire de l'alcool, alors proscrit en Ukraine, la dérangeait. Aujourd'hui, alors que la ville de Lviv ne maintient l'interdit que pour les boissons fortes, elle trinque avec Sofia. "On s'est habituées à la guerre, c'est terrible... Mais en même temps, il faut bien continuer à vivre."
Dima Dmitrenko, 25 ans, n'y "arrive pas". Arrivé de Karkiv, la grande ville de l'Est objet de féroces combats, il y a un mois, il est assis dans une chaise longue en terrasse. Loin de se décontracter, il travaille sur son ordinateur, "dans le domaine des cryptomonnaies", pour continuer à gagner sa vie.
"Plus rien n'est normal. Plus rien. C'est terrible", confie-t-il, se disant incapable de vivre sa jeunesse.
Il y a deux semaines, il s'est aventuré dans le sous-sol du bar, où un DJ mixe sous une boule à facettes. "J'ai vu une vraie fête comme il y en avait à Kharkiv avant la guerre, j'ai essayé de me relâcher, mais je n'ai pas réussi."
Oksana Gariacha, 29 ans, qui travaille comme "hôtesse" dans ce bar depuis qu'elle a fui Kiev, ne se sent pas non plus prête "à faire une vraie grosse fête, alors que des gens meurent".
Mais la danse manque cruellement à cette amateure de salsa. "J'espère qu'après la victoire, on dansera toutes les nuits jusqu'au petit matin!"
T.Zangari--IM