Dans l'Afghanistan des talibans, un tourisme étranger émerge
L'Afghanistan n'est pas la première destination touristique à laquelle on songe, pourtant de plus en plus d'étrangers s'aventurent dans le pays des talibans, franchissant ses checkpoints comme ses cols de montagne, parcourant ses steppes.
Rencontrés à Mazar-e-Sharif, le Français Didier Goudant et l'Américain Oscar Wells viennent de découvrir la Mosquée bleue, joyau du XVe siècle en faïences éclatantes de la grande ville du Nord.
Ils ont aussi visité ce qu'il reste des sites de cette province de Balkh au passé illustre, vêtus du shalwar kameez, la tunique afghane et son pantalon bouffant, et coiffés du pakol en feutre.
"C'est pour être un peu discrets", explique le Français, un avocat de 57 ans, qui effectue son deuxième voyage en Afghanistan, destination formellement déconseillée par les chancelleries occidentales.
"La première chose que te disent tes proches, c'est: +Tu es fou d'aller là-bas!+", lance-t-il.
Le voyageur en Afghanistan est confronté à une extrême pauvreté, à l'absence d'infrastructures touristiques et à la rareté des sites culturels après les destructions et pillages de quatre décennies de guerre.
Il doit s'enregistrer auprès des autorités à l'arrivée dans chaque province et respecter un strict code vestimentaire. Il s'expose à des fouilles d'hommes armés de kalachnikovs aux innombrables checkpoints.
Plus que celle d'enlèvements, persiste la menace d'attentats des jihadistes de l'Etat islamique, même si la sécurité est globalement revenue après le retour des talibans au pouvoir en août 2021.
L'attrait de l'Afghanistan réside dans la beauté sauvage et rude de ses paysages, leur lumière, et le contact avec une population à l'hospitalité légendaire.
"Les Afghans sont très accueillants, ils vont acheter un mouton pour vous recevoir à dîner", dit M. Goudant.
- "Mauvaise image" -
Les deux voyageurs viennent de skier à Bamiyan (centre) avec des villageois, une semaine organisée par Untamed Borders, une agence britannique qui a amené une centaine de touristes l'an dernier en Afghanistan.
Les touristes "comme nous sont curieux et veulent être au contact de la population, essayer de les aider un peu", dit le Français.
Cette année, il a apporté "130 kg de matériel de ski" à Bamiyan.
M. Wells, exploitant agricole dans le Midwest, qui, à 65 ans, visite pour la troisième fois l'Afghanistan, aime ce pays "unique", "ses montagnes magnifiques" et "ses gens qui vivent comme autrefois".
Avec le retour des talibans, "on peut faire davantage de choses, comme aller dans le Sud", dit James Willcox, fondateur de Untamed Borders.
Mais "ça a aussi apporté des perturbations: notre femme guide (afghane) a dû partir vivre en Italie".
Le gouvernement taliban n'est reconnu par aucun pays en raison de son application ultra-rigoriste de la loi islamique et de la multiplication des mesures liberticides envers les femmes.
Pourtant, le nombre de touristes étrangers en Afghanistan a progressé de 120% à près de 5.200 l'an dernier sur un an, selon des chiffres officiels.
Kaboul vient de rouvrir un Institut du tourisme et de la gestion hôtelière.
C'est pour que "les ennemis de l'Afghanistan" cessent "d'en peindre une mauvaise image", a expliqué le ministre de l'Information et de la Culture, Khairullah Khairkhwa.
- Voyage solo -
L'insécurité inquiétait Nayuree Chainton, une Thaïlandaise de 45 ans propriétaire d'une agence de voyage à Bangkok. Elle est venue sonder le terrain afghan, avec un groupe de compatriotes.
"On ne savait pas grand-chose de la situation ici", mais "je me sens en sécurité, malgré tous les checkpoints", dit-elle en visitant la mosquée turquoise Kart-e-Sakhi de Kaboul.
"A notre retour nous ferons la promotion de l'Afghanistan".
A côté des voyages organisés, formule majoritaire mais coûteuse -- 2.600 euros pour neuf jours avec Untamed Borders au départ d'Islamabad -- certains sillonnent l'Afghanistan seuls et avec de petits budgets.
Y compris des femmes.
Stefanie Meier, une Américaine de 53 ans, a voyagé un mois, sans encombre, de Kaboul à Kandahar (sud), en passant par Bamiyan puis Hérat (ouest).
Tout va bien "à partir du moment où vous comprenez que ça va être chaotique!", plaisante l'ingénieure.
L'Américaine n'a "rencontré aucune difficulté en étant une femme voyageant seule" et a même dormi deux fois chez l'habitant.
"J'ai rencontré des gens qui m'ont raconté leur vie", dit-elle, mais ce fut "une expérience douce-amère".
"Je me suis demandé comment (les Afghans) peuvent vivre avec la pauvreté, le chômage, les filles privées d'éducation, sans avenir".
- Petits budgets -
Les réseaux sociaux, notamment WhatsApp, fournissent une aide précieuse aux touristes voyageant seuls et avec de petits budgets.
Très actif, le groupe Afghanistan Travel Experience, rassemble plus de 600 routards -- mexicains, canadiens, indiens, australiens ou italiens -- déjà sur place ou en partance.
Ils échangent des tuyaux sur l'état des routes, la sécurité, le prix des taxis partagés. Ils cherchent des compagnons de voyage ou un hôtel bon marché, si possible avec de l'eau chaude.
Ces routards préfèrent l'autocar aux avions qui desservent les grandes villes et ne reculent pas devant les 20 heures de trajet entre Kaboul et Hérat, à 850 km.
De même, pour visiter les majestueuses vallées de Bamiyan -- première destination touristique -- où les niches vides des bouddhas géants dynamités par les talibans en 2001 exercent une attraction quasi hypnotique, il n'y a que la route: quatre ou cinq heures depuis Kaboul.
Sur le groupe WhatsApp, parfois les questions sont inattendues.
Alberto veut savoir si c'est "haram" (interdit) de voyager avec son chien, et Soo s"'il y a un espace de co-working à Mazar-e-Sharif".
P.Conti--IM